BD de Pat Perna et Fabien Bedouel
Delcourt (2021), 210p., one-shot.
Merci aux éditions Delcourt pour leur confiance.
Le 20 juillet 1969 Neil Armstrong descend de l’échelle du LEM et pose le premier pied humain sur la Lune. Quelques mètres plus loin son regard se fige sur un drapeau… soviétique!
Quel album et quel plaisir de retrouver un duo d’auteurs qui nous comblent à chacun de leurs projets! Si le délirant Valhalla Hotel sorti cette année concourt immédiatement au titre de meilleure série de l’année, c’est également le cas de cet étonnant album aux noirs profonds (qui ont dû entraîner une pénurie d’encre…) qui rappelle le choix esthétique du Forçats qu’ils avaient sorti il y a quelques temps et qui jouait aussi sur une actualité historique et un jeu des Nations dans le dévoilement de la vérité.
Ici, sur la base d’une uchronie (les soviétiques ont posé le pied sur la Lune juste avant les américains), Perna et Bedouel déroulent d’abord un thriller technologique et spatial dans la veine du mythique film Apollo 13 où l’on savoure le plaisir d’une immersion dans la sphère soviétique qui nous rappelle combien nous sommes formatés par le storytelling américain depuis soixante-dix ans. S’intercalent ensuite des entretiens face caméra avec des personnages qui tisseront progressivement un doute quand à la réalité de ce que l’on voit. Dans l’espace personne ne vous entend crier et sans images personnes ne peut confirmer laquelle des deux puissances a aluni la première, dans un jeu de communication où la vérité est le dernier élément à entrer en compte. La crédibilité du propos est passionnante et si nombre de thèses conspirationnistes ont ces dernières décennies remis en cause l’alunissage américain, qui peut vraiment contester la possibilité que des missions soviétiques échouées aient été tues? Le glacis propagandiste de la Russie était absolument capable de sacrifier des hommes et femmes, comme la NASA a probablement perdu des cosmonautes sur la durée de ses programmes. En la matière l’affaire Apollo 13, si elle a été miraculeuse, rappelle que les expéditions extra-terrestres n’ont jamais été sans risque.
A la fin de la lecture on réalise en effet que les images américaines, si elles ont été diffusées en directe n’étaient pas moins de la propagande dans la Guerre froide et que des séquences audio ou vidéo auraient tout à fait pu être escamotées, comme des évènements lunaires que ces soldats auraient eu pour ordre de taire. La force du scénario de Pat Perna (journaliste au départ, rappelons-le) est d’instiller le doute par l’information, sans prendre parti et sans risque de se voir taxer de conspirationniste (point Godwin de plus en plus fréquent par les temps qui courent…). Ce livre est une fiction uchronique, crédible. Le fait d’insérer un discours méta en fin d’album vient élargir l’effet « et si? » et le lecteur est bien obligé d’admettre que sauf à étudier l’histoire scientifique de la conquête lunaire on est bien démuni pour trier entre propagande russe et américaine. En somme on nous raconte bien ce qu’on veut nous raconter… hier comme aujourd’hui. Et vient en raisonnance la phrase insérée en incipit:
La pédagogie du soupçon est toujours nécessaire. Aujourd’hui, les images ne sont plus un moyen de représentation mais sont notre mémoire, notre imaginaire, notre inconscient. Celui qui veut contrôler les esprits doit contrôler les images.