BD de Matthieu Aron et Hervé Duphot
Delcourt (2021), 136p., one-shot.
Cet album est l’adaptation de l’ouvrage de Mathieu Aron paru en 2019 intitulé Le piège américain : l’otage de la plus grande entreprise de déstabilisation économique raconte.
Merci aux éditions Delcourt pour leur fidélité.
En 2014 éclate l’affaire Alsthom, qui va éclabousser l’industrie française avec des remous politiques jusqu’au sommet de l’Etat. Alors qu’il vient d’obtenir la création d’une cellule d’investigation sur des dossiers longs, le journaliste de France Inter Matthieu Aron tombe par hasard sur le début d’une pelote qui va lui faire découvrir une histoire digne des meilleurs thrillers, mêlant marchés publics faussés, diplomatie économique des Etats-Unis et mœurs sanglantes du capitalisme…
Pourtant fidèle lecteur des enquêtes de Mediapart, de l’affaire Alsthom je n’avais suivi que le traitement superficiel par la presse et les interrogation sur cette vente bien étrange en 2014 d’un fleuron de l’industrie française au concurrent américain, sous le quinquennat de François Hollande et alors qu’Arnaud Montebourg venait d’entrer au ministère de l’Economie, Emmanuel Macron étant conseiller du président. C’est toute l’importance de cet album qui aborde frontalement un scandale diplomatico-politico-judiciaire qui interroge sur le rôle joué par l’actuel chef de l’Etat dans les tractations dignes d’un roman d’espionnage.
Matthieu Aron est alors journaliste à France-Inter et vient d’obtenir de haute lutte la création d’une cellule d’investigation dans la foulée de l’explosion des affaires révélées par Mediapart et juste après l’affaire Cahuzac. A la recherche de sa première grosse affaire qui lui permettrait de sécuriser ce fragile organe d’enquête il tombe par le jeu des connaissances sur le bout du fil d’une pelote dont il n’imagine pas un instant la longueur et la profondeur. Sous la forme d’un récit principalement axé autour du calvaire judiciaire d’un haut cadre d’Alsthom (co-auteur de l’album…) aux Etats-Unis, c’est un monde des marchés publics internationaux remportés par les multinationales à coups de corruption qui nous est révélé. Si la pratique est connue dans le milieu de l’armement, du Pétrole et des matières premières, notamment en Afrique, on apprend que ce système est généralisé dans bien d’autres domaines dont ceux occupés par Alsthom. Dans ce jeu de dupes, le perdant du marché (qui nous rappelle la très récente brouille franco-américaine autour des sous-marins australiens) attaque judiciairement le gagnant. Incroyables mauvais-perdants, appuyés sur une législation totalement orientée pour permettre à Washington de poursuivre ses concurrents commerciaux sur le terrain de la vertu (et de la corruption), les Etats-Unis arrêtent de hauts cadres de l’entreprise française afin de faire pression sur l’Etat français et la direction d’Alsthom dans l’otique d’une vente forcée. un véritable racket où la morale toute mercantile et sans foi ni loi des américains utilise avocats de la défense, procureurs et jusqu’aux juges dans le seul intérêt commercial du pays. Inoui!
Dans ce récit aux airs de Midnight express on sent toute de même une once de mauvaise foi en évitant soigneusement d’aborder le rôle réel de Frederic Pierrucci (devenu amis avec le journaliste) dans la corruption effective par Alsthom et n’enrichissement important de ces cadres de l’Industrie qui ne semblent pas avoir beaucoup d’Etats d’âme dans le quotidien de leur activité avant d’être personnellement inquiétés. Cela n’enlève rien à l’attitude machiavélique du PDG qui selon le livre a littéralement vendu l’entreprise aux américains pour sauver sa tête et se protéger d’un risque judiciaire réel. Le plus passionnant se situe lorsque Matthieu Aron obtient un entretien avec l’ex-ministre de l’Economie, chantre du nationalisme industriel et qui se présente comme un chevalier blanc joutant avec le PDG d’Alsthom jusqu’à le convier avec force gendarmes à la descente de l’avion pur exiger des explication à son projet. Et lorsque la messe est dite dans le bureau du Président où le conseiller Macon semble jouer un rôle de premier plan dans l’affaire. Le journaliste n’en dira pas plus mais on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la continuation de ces pratiques chez le futur Président et les incidences peut-être encore présentes aujourd’hui dans la diplomatie économique de la France.
Passionnant de bout en bout, autant récit d’une injustice carcérale, judiciaire, humaine qu’un pavé dans la marre des dessous des ministères et des entreprises du Cac 40, le Piège américain est à lire absolument!