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Les Ogres-Dieux #4: Première-née

BD du mercredi
BD de Hubert et Bertrand Gatignol
Soleil – Métamorphose (2020), 160p., 4 volumes parus.
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Merci aux éditions Soleil pour leur confiance.

J’ai découvert la série des Ogres-dieux à la sortie du second opus, Demi-sang et avais proposé un billet commun sur ces deux premiers tomes, vers lequel je vous renvoie pour l’explication du projet et de sa forme matérielle… importante.couv_405165

Aux temps premiers des Ogres-dieux fut le Fondateur, ce puissant combattant de haute stature qui apparut un jour et fonda un royaume guerrier. La Première-Née ce la dynastie qui lui succéda était déjà immense, mais c’était une fille, encore liée à la société des hommes, une société du savoir, de la civilisation. Tiraillée entre les pulsions bestiales du Fondateur et de ses fils et son sexe renvoyée à une simple matrice pour les descendants, Bragante allait influer en coulisses à la destinée des Ogres-dieux…

Après un troisième opus assez décevant, cet album posthume du scénariste Hubert revient aux sources de ce qui fait la spécificité de cette saga gothique. En remontant à des origines narrées dans les textes du premier volume les auteurs attisent notre soif de savoir sur une histoire familiale dont on n’a finalement vu que peu d’éléments. Car le fait d’alterner séquences BD et séquences de pure récit textuel depuis Petit a permis à la fois de développer l’univers bien plus que les seules cent-soixante pages du volume ne l’auraient permis en dessins mais crée une frustration continue. Les histoires étant construites sur des successions de séquences reprenant les trois unités du théâtre, on alterne ainsi des scènes illustratives mais ce sont bien les textes qui bouchent les trous.

Des Ogres-dieux on n’en a finalement vu que sur le premier tome et c’est un plaisir de retrouver cette grandiloquence, cette violence brute, bestiale. Le mystère des origines du fondateur est laissé dans l’ombre, avec néanmoins un lien directe avec les Olok vus dans le Grand homme. Habile passerelle qui permet de faire se rejoindre dans cette préquelle le premier et le dernier représentant de cette lignée de géants. L’éditeur annonce qu’il s’agit de l’ultime tome… a voir car le dessinateur n’excluait pas il y a quelques mois de prolonger l’œuvre. Et on peut dire qu’il y a matière à peu près infinie avec ce format de one-shots dissociés se rattachant à une mythologie très costaude.

L’histoire de Bragante est celle de la civilisation, de la transmission et du savoir face à la force brute incarnée par les hommes descendants de ce fondateur barbare qui choisit d’enfermer ses filles dans un gynécée. Comme dans tout récit mythologique, les auteurs posent une dualité fondamentale entre le bien et le mal. Comme tous les personnages centraux de la saga, cette première fille du Fondateur est passionnante. Elle est abaissée à sa nature féminine, destinée à être engrossée par ses frères, consanguinité rendue à la fois naturelle (la barbarie dégénérée) et nécessaire car en grandissant à chaque génération les géants (pas encore ogres…) ne peuvent plus se reproduire qu’entre eux… tout en imposant le respect à ce père comme première descendante, première géante. Si les récits de la vieille femme manquent d’action et de flamboyance graphique, ce sont comme souvent dans la série les nouvelles qui habillent, lient ce que l’on voit. On y découvre ainsi le rôle des livres, de la bibliothèque perdue, de l’architecte, tout ce qui permit aux géants de traduire leur puissance brute inarrêtable en royaume organisé et rayonnant. Bien sur l’ADN de la saga est dans cette folie, cet inceste érigé en nature, ce gout du sang et de l’absence de toute limite. Mais cette figure de Première-née est la première véritablement positive et donne de la sensibilité à cet ensemble barbare.

De sa vie cloitrée on parcourt des planches très serrées de Bertrand Gatignol, où les extérieurs du Grand Homme et les architectures flamboyantes des deux autres volumes manquent un peu. Ce choix est tout à fait justifié mais l’on y perd un des sels graphiques des Ogres-dieux. On aurait aimé voir se produire les le successeur Orobaal et ses frères sur les champs de bataille. On n’aura que des querelles de palais. On a ainsi une sauvagerie étouffée graphiquement par une sorte de huis-clos de cloître et une absence d’antagoniste pour développer des manigances politiques dignes de Demi-sang. On sent comme il est compliqué de donner une unité à chaque tome sans se recopier et en cela on peut tirer notre chapeau aux auteurs qui jamais n’envisagent de reproduire ce qui a fonctionné précédemment. Ils sont convaincus de la richesse de leur univers et se rattachent à un personnage pour développer son contour.

Comme sur les deux autres suites je sors mitigé de ma lecture, avec peut-être le besoin de se replonger calmement dans une seconde lecture ou dans une relecture complète d’une série qui ne s’apprivoise pas facilement. Il y a beaucoup de réussites thématiques dans ce tome et une maîtrise graphique qui ressort dans les noirs et ces visages superbes en cases immenses. Il reste peut-être un manque de variété que l’on ne peut guère reprocher dans une BD-théâtre largement compensée par cet habillage grandiose dont on ne se lasse décidément pas.

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***·BD·Rétro

Les Ogres-Dieux #3: le grand homme

BD du mercredi
BD de Hubert et Bertrand Gatignol
Soleil – Métamorphose (2020), 3 volumes parus.

couv_348065J’ai découvert la série des Ogres-dieux à la sortie du second opus, Demi-sang et avais proposé un billet commun sur ces deux premiers tomes, vers lequel je vous renvoie pour l’explication du projet et de sa forme matérielle… importante.

La dynastie des géants est tombée, leur immense château s’est effondré dans les flammes. Le monde s’écroule avec ce qui structurait toute la société dans la peur et la Loi. Alors que l’anarchie gronde, un mystérieux chasseur sauve l’héritier putatif, Petit, qui attire toutes les ambitions des humains libérés du joug des tyrans. La chasse ne fait que commencer où nous sera narrée la Geste du Grand-Homme, ce descendant des peuples anciens…

Si vous n’avez pas entendu parler de cette série à sa sortie vous en avez forcément eu des échos lors du décès récent du scénariste Hubert. A l’heure actuelle, si un quatrième tome (et plus…) était prévu, la réalisation à quatre mains avec Bertrand Gatignol n’interdit pas la continuation de la série, bien que l’aspect très réflexif et parfois personnel de la saga interroge sur la pertinence de publier un album à titre posthume.

Résultat de recherche d'images pour "les ogres-dieux le grand homme"Pour revenir à l’ouvrage proprement dit, j’ai été surpris à sa lecture par l’aspect déconnecté, tant dans le récit, le décors, que la chronologie. Si le second tome était si particulier c’était par-ce qu’il s’entrecroisait totalement avec la temporalité principale du premier ouvrage. L’ADN des Ogres-dieux est bien sur de proposer de gros one-shot autonomes entrecoupés de longs textes narratifs et légendaires et sur ce plan Le grand-homme coche les cases (en faisant toujours aussi bel effet à côté de ses petits frères dans l’étagère à BD!). Pourtant l’idée d’en faire une vraie suite directe du tome deux crée une attente qui peine à être comblée. D’autant que l’histoire reste partiellement centrée sur le personnage de Petit qui est au-début la cible du Chambellan et de l’attention du lecteur avant de se diluer dans l’histoire de Lours. Très grande réussite que ce dernier personnage dont l’histoire révélée progressivement par les textes suffit à maintenir le lecteur à flot… alors que le rattachement aux Ogres et au Chambellan (et donc à la saga) se délite lentement à mesure que l’on constate la passivité de Petit. C’est ainsi le principal problème de cette suite qui n’en est pas une que de lier par les personnages et la temporalité cet ouvrage aux autres alors qu’il aurait sans doute été bien plus efficace de le couper sérieusement en oubliant cette fausse chasse qui n’intéresse personne.

Résultat de recherche d'images pour "les ogres-dieux le grand homme"Lecteur, si tu entame donc ce Grand homme fais-le sur des bases neuves, comme un unique one-shot lié de très loin à l’univers des Ogres-dieux. Le cœur de l’album est l’histoire de Lours, rebelle chassé de son peuple qui va entamer un voyage initiatique aux sources de son histoire et de son conflit avec son poursuivant. En cela l’album est plutôt réussi bien que les dessins de Gatignol, s’ils sont toujours très efficaces en plans serrés, peinent un peu sur les vastes extérieurs naturels qui ne parviennent pas, avant l’arrivée dans la forêt primale, à reproduire le gothique noir de la Cité et du palais des géants. La force des deux premiers ouvrages reposait beaucoup sur l’univers visuel de gothique flamboyant où l’architecture joue un rôle essentiel. Si les immenses arbres noirs rejoignent cette idée sur le dernier tiers de l’album, le reste est donc bien plus banal visuellement et il est étonnant de dire que ce sont bien les textes introductifs aux chapitres qui nous gardent en éveil. Sur le plan graphique l’absence de huis-clos semble élargir les cadrages ce qui ne permet pas au dessinateur de faire valoir sa technique issue du dessin-animé. Résultat de recherche d'images pour "les ogres-dieux le grand homme"La puissante séquence finale, très généreuse en gros plans, pleines pages et expérimentations graphiques, sonne ainsi comme un gros regret tardif

Petite déception donc  que ce Grand homme qui ne parvient pas à retrouver l’atmosphère violente et venimeuse de ses prédécesseurs malgré un personnage principal qui suffit à porter l’album. Du fait de la structure de la saga, d’autres ouvrages intéressants pourront être publiés pour peu que Gatignol se sente de poursuivre cette aventure seul. Les grands amateurs de la saga y trouveront leur compte, les autres pourront s’arrêter au second volume sans regret.

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****·Graphismes·Littérature

Une bible

Livre illustré de Philippe Lechermeier et Rebecca Dautremer
Gauthier Languereau (2014), 400 p.

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Gauthier Languereau est un éditeur dangereux: a peu près tout ce qu’il édite fait pleurer les yeux et révèle un travail d’édition très impressionnant. C’est bien entendu le cas avec ce très gros livre, aussi imposant que le texte-source sur lequel il se base: la Bible. Mais ici le texte fondateur n’est que le matériau d’origine, comme Alice au pays des merveilles l’était pour l’œuvre musicale d’Ibrahim Maalouf « Au pays d’Alice« : une inspiration pour une œuvre originale réappropriée. Le principe de l’adaptation en somme. Le volume présenté ici regroupe les deux ouvrages « L’ancien testament » et « le Nouveau testament« .

Résultat de recherche d'images pour Et sur ce plan il faut dire que le travail est considérable. Les textes sont vraiment réussis, de synthèse et d’inspiration visuelle, en écho aux illustrations à la fois très libres et toujours puissantes de Rebecca Dautremer, qui s’emploie ici à panacher les techniques et les styles visuels. Je regarde le travail de l’illustratrice depuis pas mal d’années sur des albums jeunesse mais n’ai pas suivi en détail ses expérimentations. Il me semble pourtant que ce projet est l’occasion pour elle de se faire plaisir un variant ses créations qui s’éloignent par moment totalement du trait qui l’a fait connaître. D’abord car beaucoup des images Résultat de recherche d'images pour sont monochromes, voit noir sur blanc. Parfois un crayonné, parfois un travail photographique retouché, beaucoup d’illustrations aux tons gris encadrés comme de vieilles photos… et aussi d’immenses pleines pages explosant de couleurs. Il y a du Dali dans certaines créations et si l’iconographie s’éloigne pas mal de celle qu’on imagine pour les événements de la Bible, la cohérence d’ensemble, artistique, est vraiment réussie. Graphiquement il s’agit donc bien plus d’un travail autour de la Bible que d’une illustration de la Bible.

Résultat de recherche d'images pour Une bible est présenté comme « un roman » par l’éditeur. Je dirais plutôt comme un mythe. L’auteur a une volonté manifeste de pédagogie. Ainsi chaque séquence clé, chaque personnage majeur de la Bible sont expliqués en un court texte ou paragraphe au sein d’une magnifique maquette très aérée mais travaillée par Taï-Marc le Tanh (le conjoint de l’illustratrice) de la typographie à quelques subtiles éléments graphiques. Nous avons ici un très gros et très beau livre idéal à offrir (en précisant qu’il ne s’agit aucunement de La bible mais bien d’Une bible!). L’ouvrage est bien destiné à la culture générale, à connaître les mythes fondateurs de ce texte comme les deux auteurs s’étaient auparavant attaqués aux princesses et au petit Poucet. C’est un travail éminemment humaniste de synthèse  du récit du texte religieux. Logiquement, la deuxième partie de l’ouvrage est plus éloignée du texte source.Résultat de recherche d'images pour

Je je saurais que trop conseiller l’investissement vue la qualité générale de l’ouvrage qui vous permettra de découvrir (y compris en famille) ces contes issus de notre culture commune. Je dirais que seules les illustrations de Dautremer, par moment un peu inquiétantes, pourraient dissuader les lus jeunes. Hormis cela, profitez de ce cadeau pour vous plonger dans un beau livre plein de belles histoires et de belles images.

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****·BD·Graphismes·Mercredi BD

Natures Mortes

BD de Zidrou et Oriol
Dargaud (2017), 62 p.

couv_297432Album au format large et à la pagination relativement importante, doté d’une postface de Roser Domenech, professeur d’histoire de l’art en catalogne et spécialiste du peintre Vidal Balaguer. L’éditeur a doté l’album d’une couverture toilée sur l’édition grand public. Très belle édition assez classieuse et qui renforce l’album.

Barcelone, 1930, atelier du peintre Joaquim Mir. Le vieil homme raconte à son jeune modèle l’étrange histoire de son ami, le peintre maudit Vidal Balaguer, l’un des plus talentueux membres de la Colla del Safra, un groupe d’artistes catalans. Une histoire liée à une toile et à sa muse disparue de façon mystérieuse…

Pour leur troisième collaboration Zidrou et Oriol (illustrateur espagnol dont le vrai nom est Hernández Sánchez) nous font entrer dans le monde de la peinture espagnole, au travers d’une histoire sur un mode policier teinté de fantastique. L’envie des auteurs était de rendre hommage à ce peintre inconnu à qui le postfacier tente de redonner ses lettre de noblesse en organisant des expositions. Le texte de cet historien de l’art est très intéressant et l’on y apprend qu’un certain  Pablo Picasso avait déjà repéré Balaguer… Résultat de recherche d'images pour "natures mortes oriol"Zidrou (dont je découvre progressivement la bdgraphie) construit le récit en une court enquête sur la disparition de la muse que l’on peut voir en couverture: Balaguer l’aurait-il tué, comme il aurait fait disparaître d’autres personnes apparaissant sur ses peintures? Sous ce prétexte l’album nous introduit dans le milieu artistique de Barcelone à la fin du XIX° siècle. L’on a maintenant l’habitude de parcourir Montmartre dans des BD françaises, parfois aussi le milieu artistique américain, plus rarement l’espagnol. C’est chose faite et si ce n’est pas véritablement révolutionnaire, l’immersion picturale (grâce au trait et aux couleurs incroyables d’Oriol qui fait un travail impressionnant pour coller au style impressionniste) de l’album est fascinante. L’on a réellement le sentiment de pénétrer des peintures de l’époque et l’illustrateur espagnol intègre des productions originales du peintre afin de pousser encore plus loin l’entrelacement.

Résultat de recherche d'images pour "natures mortes oriol"Intéressé par cette histoire de peintre méconnu j’ai cherché quelques informations, d’abord sur les sites de BD, puis plus largement. L’absence de références au peintre m’a intrigué, alors j’ai poussé un peu… jusqu’à découvrir le fin mot de l’histoire. Non ce n’est pas un spoil (la BD reste vraiment excellente et se savoure pour elle-même), mais Victor Balaguer n’a jamais existé et ses peintures sont d’Oriol lui-même! L’espagnol souhaitait faire une BD rendant hommage au (vrai) peintre Joaquim Mir, peu connu en France et a proposé cette mystification à Zidrou. Les deux compères se sont alors associé à un vrai galeriste et un vrai chercheur espagnols pour pousser le projet. Ainsi une vraie exposition a vu le jour avec de vraies-fausses toiles de Balaguer, crées par Oriol. C’est un site espagnol qui vend la mèche et j’avoue que cette histoire m’a totalement bluffé. C’est la première fois que je vois un tel montage en BD et l’album mérite d’être lu rien que pour cela mais absolument pas que!

Résultat de recherche d'images pour "natures mortes oriol"Natures Mortes est une grande réussite, d’abord graphique, qui nous régale et m’a fait découvrir (encore… 🙂 un grand dessinateur espagnol dont l’album Les trois fruits m’intéresse beaucoup et que je vais lire dès que possible. L’album est également très poétique, avec ce personnage qui doute de sa réalité et qui nous fait voir encore une fois que le talent va souvent avec une inadaptation. La création est personnelle mais doit être vendue pour vivre, dilemme que connaissent tout les peintres. Balaguer refuse cela et se retrouver alors enfermé dans sa peinture au propre comme au figuré. Enfin, l’idée de l’enquête ajoute un piment qui fait dévorer les 60 pages bien trop vite. Et nous fait regretter que la base de l’histoire soit finalement fictive car l’on aurait aimé en apprendre plus sur ce peintre…

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Cet article fait partie de la sélection de22528386_10214366222135333_4986145698353215442_n, cette semaine hébergée chez Moka.

 

Cinéma·Graphismes

Jupiter et George Hull

Dans la fascination grandissante envers les films de SF et fantastiques, une grande part tient au design et à la créativité des artistes géniaux embauchés par troupeaux et qui créent des univers dans lesquels on se demande souvent après coup quel a été le rôle du réalisateur… Ces artistes la plupart du temps inconnus (comme du reste l’essentiel des techniciens) sont pourtant l’âme de ces films. Quelles qu’aient été les visions des réalisateurs de ces films, Alien n’existerait pas sans Giger, Star Wars sans Ralph McQuarrie, et Le Seigneur des anneaux sans Alan Lee et John Howe. Je me remémore la séquence des DVD Star Wars où George Lucas passe tamponner en quelques secondes les illustrations validées ou non sans un regard aux graphistes anxieux…ja_titus_open_fin5

Parmi les réalisateurs les plus inventifs de ces dernières années se trouvent les Wachowski, sans doute les plus grands apports à la SF depuis George Lucas. Si Matrix est entré dans l’imaginaire collectif, une incompréhension sur les volumes 2 et 3 a atténué l’aura de ces inventeurs d’univers auprès de la presse du du public. Leur film Cloud Atlas est significatif de cette gêne autour de leurs oeuvres, les critiques semblant désemparées au visionnage sans pour autant critiquer. Les visionnaires sont souvent victimes de tels problèmes.

set_titusdockjumperfront_fin5fJupiter Ascending (je vous dispense de son abominable titre français), leur dernier métrage, bien que victime de quelques difficultés de studio, est à ce titre au moins un chef d’œuvre graphique (je vous renvoie à la critique d’écran large, à laquelle je souscris, pour la partie cinéma) et est pour beaucoup sorti de l’univers de George Hull, designer ayant travaillé sur tous les films Wachowski mais aussi sur Star Wars, les Gardiens de la galaxie, Tree of life, Transformers et Blade Runner 2049 excusez du peu !

Le film est un maelstrom visuel presque exempt de faute de gout et150113_zerocoloreddrngv3_gh proposant une alchimie des arts culturels humains jamais vue depuis Star Wars (encore, oui, je sais). Du design des vaisseaux à la planète centrale qui parvient à se démarquer de Coruscand (pas simple pourtant), tout fascine dans les tableaux dessinés par Hull. Encore une fois, étant donné le fonctionnement artistique des Wachowski il est probable que beaucoup d’idées soient issues de leurs cerveaux, mais je vous laisse parcourir les différentes galeries de ce très grand designer (dont je n’ai malheureusement pas trouvé trace d’Art-Book) pour vous faire une idée de sa cohérence et de son style inimitable et original. Personnellement je ne me suis toujours pas remis des armures exo-angéliques…

BD·Numérique

Découvrez la BD numérique ! #3

1200x630bf.jpgL’année 2016 a été marquée par un évènement hors norme dans le monde de la BD. La diffusion de la « Bande-Défilée » Phallaina directement sur les magasins d’applications d’Apple et de Google marque un tournant majeur dans les explorations artistiques d’une BD utilisant le média numérique. En somme Phallaina marque l’an 1 de la BD numérique non expérimentale !
Une BD de 115m de long…
Sortie de l’imaginaire et des doigts de Marietta Ren, Phallaina raconte l’histoire d’une jeune fille souffrant d’une maladie rare provoquant des hallucinations… Au travers de son parcours psychologique et émotionnel, le lecteur est immergé dans une ambiance sonore et graphique inédite, sorte de chaînon manquant entre l’Animation et la BD.
L' »album », uniquement disponible (gratuitement) sur tablettes, consiste en une unique case à faire défiler sous ses doigts, équivalant à 1600 écrans de tablette ! L’ouvrage est conséquent et a certainement demandé un travail herculéen à l’auteure. Le principe de la disparition des cases, transformées en un agencement d’un dessin continu jouant sur les contrastes, a déjà été vue sur des albums papiers (Marc-Antoine Mathieu, Frank Miller, Olivier Ledroit ou Claude Ponti par exemple). Mais jamais dans une telle mesure, le format numérique exploitant totalement ces possibilités, si bien qu’une édition papier semble totalement improbable. Une version imprimée de 115 m associée à l’univers sonore a en revanche été installée au festival d’Angoulême et se déplace depuis dans plusieurs villes.

Une BD immersive
L’album ajoute par ailleurs des effets visuels (parallaxes) et sonores (rapprochant l’oeuvre de l’Animation) afin d’accentuer l’implication du lecteur. L’histoire, basée sur les difficultés visuelles et sonores du personnage, devient immersive, faisant ressentir les gênes du personnage. Le travail sonore basé sur des sons de baleines et de battements réguliers est particulièrement réussi et apporte grandement à l’expérience. Il est d’ailleurs nécessaire d’entre-couper ses séquences de lectures, à la fois en raison de la longueur de l’album mais surtout car une certaine fatigue visuelle apporte étrangement toute sa pertinence à ces choix. Jamais l’on ne s’est senti aussi impliqué dans une BD !

Un support logistique important
Cet ouvrage n’a cependant pas été réalisé par l’auteure seule mais supporté par l’excellente branche « R&D » Nouvelles écritures de France-Télévision et le studio « transmédia » Small bang. Comme on l’a vu dans les deux premier billets de cette série BD numérique, ce nouveau format implique à la fois des moyens importants et une véritable démarche artistique d’auteur. Phallaina semble avoir trouvé l’équilibre entre ces deux contraintes puisqu’elle est un projet d’auteur qui a été proposé à France-TV qui a ensuite mis les moyens nécessaires.

A quand la suite ?
Premier projet grand public véritablement abouti, que peut-on attendre à la suite de Phallaina ? Le risque est qu’il ne s’agisse que d’une expérience sans suite. Les éditeurs de BD ne semblent pas avoir pris le tournant du numérique (aucune structure de création numérique n’existe chez eux à ma connaissance) et la question se pose de savoir s’il revient à des structures du Web (c’est le cas actuellement) ou de l’édition de soutenir ce type de projet. Tant que le coeur du métier ne verra pas ces possibilités avec un véritable accompagnement d’éditeur, il est à craindre que de tels projets n’apparaissent que très épisodiquement. A moins que l’engouement pour Phallaina ne permette un déclic tant attendu ?

BD·Rétro

Servitude

BD de David et Bourgier,
Editions Soleil (2006-…) 4/6 tomes parus. 2 Tirages de tête parus réunissant chacun deux albums (édités par la librairie stéphanoise Des bulles et des hommes).

12940Un TT grand luxe
Les deux formats d’édition nécessitent un petit explicatif. Le tirage classique, hormis le soin apporté par les auteurs aux suppléments en amont ou à la fin de l’album, n’appelle pas de commentaires particuliers. Les tirages de tête (TT) en revanche, ont été suivis par les auteurs eux-même (tirage limité à 400ex signés) et agrémentés de suppléments inédits et fournis, contenant des textes et des illustrations. A 150€ l’investissement vaut réellement le coup puisque l’on a 2 albums dans le volume. Le format est gigantesque, la couverture gaufrée, la tranche toilée, le papier très épais donne presque l’impression d’avoir des originaux sous les yeux. Un grand luxe! Les deux premiers TT regroupent deux albums, le dernier sera uniquement composé du cinquième et dernier volume de la saga, qui comprendra vraisemblablement bien plus de page qu’un album classique et sortira en 2019.

MAJ: les auteurs viennent d’annoncer (26/06/17) que le la série sera finalement en 6 volumes, le dernier prévu étant scindé pour une question de pagination. Parution prévue rapprochée fin 2017 et début 2018. Le prochain tome est en prépublication dans Lanfeust Mag de l’été.

Un travail d’orfèvre

bourgier-servitude-mEric Bourgier est un artisan, un patient besogneux qui met trois ans à produire chacun des albums de la série. Travaillant sur des papiers très grand format, il peaufine chaque détail de décors ou d’accessoires qui ont pour lui autant d’importance dans la case que les visages de premier plan. Son trait n’est pas le plus technique et reste d’un classicisme qui rappelle les années 80 de l’époque des publications « A suivre », mais il dégage une authenticité terriblement attrayante. Certaines séries grand public se consomment. « Servitude » se savoure avec d’autant plus de plaisir que la création a été longue… signe de perfection. L’esprit qui se dégage est celui qui transparaît dans le travail de Peter Jackson sur le « Seigneur des Anneaux« , le même amour de l’authenticité, la même conviction que les plus infimes détails ne sont pas une perte de temps mais construisent un ensemble crédible. Le parti pris graphique du sépia renforce cette impression d’authenticité et accentue des encrages qui donnent une texture rarement vue depuis les travaux de Bourgeon.3070_67295696a5612826f37be6a5997b00c1

Une ethnographie médiéval-fantastique.
Le scénario est dans la même veine, obscure, intelligent, distillant des bribes à chaque tome comme la lente construction d’une tapisserie médiévale. Si l’intrigue suit un personnage-témoin, c’est bien le fracas des ambitions politiques et surtout la description au scalpel des différentes sociétés qui composent ce monde qui passionnent. Chacun des volumes détaille l’une des factions en présence et s’accompagne de documents aidant à comprendre le fonctionnement social et politique de ces peuples, tantôt sous forme de glossaire, tantôt sous forme de récits annexes. Le travail préparatoire est immense et seule une infime partie de la « bible » des auteurs semble être révélée dans la série. Servitude est une BD exigeante, mais d’une exigence passionnante.
Comparable au grand-oeuvre de Bourgeon « Les compagnons du crépuscule« , Servitude est probablement le projet de BD franco-belge le plus abouti de cette décennie avec « Universal War one« . A lire absolument.

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Fiche BDphile

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***·BD

Les Ogres-Dieux #1-2

BD de Hubert et Bertrand Gatignol
Soleil – Métamorphose (2014-2015), 2 volumes parus.

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J’ai déjà parlé ici de la grande qualité matérielle des ouvrages de la collection Métamorphose chez Soleil. Le projet des Ogres-Dieu ne pouvait pas être édité ailleurs tant la forme matérielle des ouvrages participe à la création de l’univers. Une grosse pagination, format large, titre gaufré et doré, maquette très aérée avec pages de chapitres, on est dans la place, le luxe, le confort.

Parmi la multitude de BD qui sortent chaque semaine certaines nous demandent instamment, violemment, de les ouvrir. La qualité de la couverture joue un rôle primordial et les Ogres-Dieu fait partie de cette catégorie, mais pas que. C’est ici bien l’objet dans son ensemble qui dis « prends moi ».

Mais alors de quoi ça parle les Ogres-Dieu? Hubert propose tout simplement un opéra en BD, en monochrome avec un travail très important sur les noirs et les négatifs sur le dessin de Gatignol. L’histoire comme le livre est grand format, à l’image de ces 9782302048492_p_3géants dont l’histoire est ici transcrite. Le premier volume raconte comment le dernier né de ces géants, « Petit« , va mettre fin au règne sanglant et dégénéré de ces monstres. Le second relate l’ascension d’un humain au service des Ogres-Dieux… mais surtout de sa propre ambition. Les deux récits sont entrecroisés chronologiquement et l’on ressent très vite que la construction du scénariste autorise une multitude de développements annexes, justifiant ce titre de série assumé comme un grand-oeuvre. Les histoires sont découpées en chapitres entrecoupés de chroniques historiques de l’histoire des Ogres-Dieux (pour le premier volume) et des Chambellans (pour le second).

Cet univers est barbare, violent, décrivant à la fois l’horreur de ce monde de consanguinité médiocre et sauvage où la loi du plus fort règne, mais également des serviteurs humains acceptant cette domination et profitant pour certains des miettes laissées par les géants quand la majorité ne sert que de festin… Le graphisme baroque retranscrit parfaitement l’esprit voulu par le scénariste, une décadence totale dans laquelle des anomalies vont faire s’effondrer un système.

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Si le projet d’ensemble est ambitieux, c’est bien le travail graphique (totalement au service du récit) qui impressionne. Non que Gatignol soit le plus flamboyant des dessinateurs actuels, mais comme il y a quelques années le succès « Où le regard ne porte pas » l’on découvre une rare alchimie entre le trait et le texte. L’un ne va pas sans l’autre. La plume du dessinateur porte la marque du dessin d’animation et est d’une grande lisibilité.

Les albums sont des one-shot qui permettent d’assurer de nouveaux opus sans que soit nécessaire la lecture de toute la série. Au final, s’il ne s’agit pas d’un monument de la BD comme l’ambition de forme aurait pu le laisser penser, les Ogres-Dieux reste un projet original, intéressant, et porte la passion de ses auteurs, ce qui justifie amplement que l’on s’y intéresse, surtout quand on privilégie l’approche graphique comme c’est le cas sur ce blog!

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Fiche BDphile