BD de Hubert et Bertrand Gatignol
Soleil – Métamorphose (2020), 160p., 4 volumes parus.
Merci aux éditions Soleil pour leur confiance.
J’ai découvert la série des Ogres-dieux à la sortie du second opus, Demi-sang et avais proposé un billet commun sur ces deux premiers tomes, vers lequel je vous renvoie pour l’explication du projet et de sa forme matérielle… importante.
Aux temps premiers des Ogres-dieux fut le Fondateur, ce puissant combattant de haute stature qui apparut un jour et fonda un royaume guerrier. La Première-Née ce la dynastie qui lui succéda était déjà immense, mais c’était une fille, encore liée à la société des hommes, une société du savoir, de la civilisation. Tiraillée entre les pulsions bestiales du Fondateur et de ses fils et son sexe renvoyée à une simple matrice pour les descendants, Bragante allait influer en coulisses à la destinée des Ogres-dieux…
Après un troisième opus assez décevant, cet album posthume du scénariste Hubert revient aux sources de ce qui fait la spécificité de cette saga gothique. En remontant à des origines narrées dans les textes du premier volume les auteurs attisent notre soif de savoir sur une histoire familiale dont on n’a finalement vu que peu d’éléments. Car le fait d’alterner séquences BD et séquences de pure récit textuel depuis Petit a permis à la fois de développer l’univers bien plus que les seules cent-soixante pages du volume ne l’auraient permis en dessins mais crée une frustration continue. Les histoires étant construites sur des successions de séquences reprenant les trois unités du théâtre, on alterne ainsi des scènes illustratives mais ce sont bien les textes qui bouchent les trous.
Des Ogres-dieux on n’en a finalement vu que sur le premier tome et c’est un plaisir de retrouver cette grandiloquence, cette violence brute, bestiale. Le mystère des origines du fondateur est laissé dans l’ombre, avec néanmoins un lien directe avec les Olok vus dans le Grand homme. Habile passerelle qui permet de faire se rejoindre dans cette préquelle le premier et le dernier représentant de cette lignée de géants. L’éditeur annonce qu’il s’agit de l’ultime tome… a voir car le dessinateur n’excluait pas il y a quelques mois de prolonger l’œuvre. Et on peut dire qu’il y a matière à peu près infinie avec ce format de one-shots dissociés se rattachant à une mythologie très costaude.
L’histoire de Bragante est celle de la civilisation, de la transmission et du savoir face à la force brute incarnée par les hommes descendants de ce fondateur barbare qui choisit d’enfermer ses filles dans un gynécée. Comme dans tout récit mythologique, les auteurs posent une dualité fondamentale entre le bien et le mal. Comme tous les personnages centraux de la saga, cette première fille du Fondateur est passionnante. Elle est abaissée à sa nature féminine, destinée à être engrossée par ses frères, consanguinité rendue à la fois naturelle (la barbarie dégénérée) et nécessaire car en grandissant à chaque génération les géants (pas encore ogres…) ne peuvent plus se reproduire qu’entre eux… tout en imposant le respect à ce père comme première descendante, première géante. Si les récits de la vieille femme manquent d’action et de flamboyance graphique, ce sont comme souvent dans la série les nouvelles qui habillent, lient ce que l’on voit. On y découvre ainsi le rôle des livres, de la bibliothèque perdue, de l’architecte, tout ce qui permit aux géants de traduire leur puissance brute inarrêtable en royaume organisé et rayonnant. Bien sur l’ADN de la saga est dans cette folie, cet inceste érigé en nature, ce gout du sang et de l’absence de toute limite. Mais cette figure de Première-née est la première véritablement positive et donne de la sensibilité à cet ensemble barbare.
De sa vie cloitrée on parcourt des planches très serrées de Bertrand Gatignol, où les extérieurs du Grand Homme et les architectures flamboyantes des deux autres volumes manquent un peu. Ce choix est tout à fait justifié mais l’on y perd un des sels graphiques des Ogres-dieux. On aurait aimé voir se produire les le successeur Orobaal et ses frères sur les champs de bataille. On n’aura que des querelles de palais. On a ainsi une sauvagerie étouffée graphiquement par une sorte de huis-clos de cloître et une absence d’antagoniste pour développer des manigances politiques dignes de Demi-sang. On sent comme il est compliqué de donner une unité à chaque tome sans se recopier et en cela on peut tirer notre chapeau aux auteurs qui jamais n’envisagent de reproduire ce qui a fonctionné précédemment. Ils sont convaincus de la richesse de leur univers et se rattachent à un personnage pour développer son contour.
Comme sur les deux autres suites je sors mitigé de ma lecture, avec peut-être le besoin de se replonger calmement dans une seconde lecture ou dans une relecture complète d’une série qui ne s’apprivoise pas facilement. Il y a beaucoup de réussites thématiques dans ce tome et une maîtrise graphique qui ressort dans les noirs et ces visages superbes en cases immenses. Il reste peut-être un manque de variété que l’on ne peut guère reprocher dans une BD-théâtre largement compensée par cet habillage grandiose dont on ne se lasse décidément pas.