***·BD·Jeunesse·Nouveau !

La Chevaleresse

Récit complet d’Elsa Bordier (scénario), et Titouan Beaulin (dessin). Parution le 15/09/22 aux éditions Jungle, collection Ramdam.

Mulan en côte de mailles

La vie n’est pas simple pour Héloïse. Ou du moins, la vie d’Héloïse n’est pas tout à fait ce dont elle rêve. Si son quotidien ne reflète ni ses impétueuses aspirations ni son caractère de feu, c’est principalement à cause de la société patricarcale et belliqueuse dans laquelle elle vit.

Car oui, chers lecteurs de l’Etagère: le Moyen-Âge, ce ne sont que des ponts-levis, des troubadours et la Peste Noire. C’est aussi une hiérarchie sociétale verticale, qui impose aux individus une place prédéterminée qui ne peut souffrir aucune exception.

Pour Héloïse, cela se manifeste par la désapprobation de ses parents, qui ne souhaient pour elle qu’un mariage avantageux afin qu’elle perpétue la noble lignée. Ce qui signifie que plutôt que d’apprendre à se battre, comme elle le souhaite si ardemment, elle doit se contenter de la broderie et d’autres activités insignifiantes à ses yeux mais normalement dévolues aux femmes. Qu’à celà ne tienne, notre jeune fille en mal d’aventures va apprendre à se battre, par mimétisme, en observant les garçons lors de leurs entrainements. Quelques temps plus tard, c’est le Maître d’Armes en personne qui l’entraînera, en secret, bien sûr, jusqu’à faire d’Héloise une combattante virtuose.

Un jour, alors que la nécessité du mariage pèse de plus en plus lourd sur ses épaules, Héloise fait la rencontre d’Armand, noble comme elle, avec qui elle partage le sentiment d’être étouffée par la société. Armand n’aime ni la violence des combats, ni les armures que son père espère lui faire porter, et préfèrerait passer son temps à parfaire son art du dessin. Alors Héloïse a une idée: s’ils se fiancent, ils pourront alors s’associer pour donner satisfaction à leur deux familles, au prix d’une supercherie très simple.

Héloise n’a qu’à se faire passer pour Armand en revêtant son armure lors des entrainements et des joutes, lui épargnant ainsi l’harassement qu’il redoute tout en permettant à la jeune femme de croiser le fer comme elle l’a toujours voulu. Bien vite, la réputation d’Armand s’étend rapidement, si bien qu’un jour, un émissaire du Roi vient au chateau, pour le recruter dans sa campagne militaire contre un Baron rebelle. Armand n’a pas le choix: il doit partir faire la guerre, lui qui n’a jamais tenu une épée de sa vie.

Héloise s’en veut terriblement: elle a provoqué la perte de son meilleur ami, par pur égoïsme. Pour le sauver, il ne lui reste plus qu’à fausser compagnie à ses parents et rattraper la garnison, pour enfiler une nouvelle fois l’armure et faire parler ses talents. Mais le chemin sera long et semé d’embûches pour le petite comtesse qui n’a jamais mis les pieds hors de son château !

Comme le laisse deviner son titre, La Chevaleresse est un album féministe, mettant en scène une héroïne impétueuse face aux carcans patriarcaux qui veulent la cantonner à une place bien précise sans lui laisser l’opportunité d’exploiter son potentiel.

Malgré le contexte médiéval, on peut dire sans se tromper que le message véhiculé par Elsa Bordier porte une marque intemporelle, puisqu’elle parle d’accomplissement personnel, d’amitié, et d’amour. Il est donc aisé de transposer les difficultés vécues par Héloise au monde moderne, ce qui ajoute à l’accessibilité de l’intrigue. L’idée de base rappelle d’ailleurs d’autres oeuvres comme Mulan, lorsque la jeune fille s’entraîne par mimétisme, ou encore Wonder Woman (le film) lorsque le jeune Diana est entrainée en secret par sa tante à l’insu de sa mère autoritaire. Si on cherche bien, on peut même faire le parralèle avec Patrocle, le cousin d’Achilles, qui revêt son armure pour aller se battre à sa place lors de la Guerre de Troie.

La scénariste ne se contente pas d’un récit féministe qui mettrait en avant la bravoure et le courage féminins, elle habille également son récit d’une réflexion sur la guerre et la violence, ce qui est souvent le cas dans ce type d’oeuvre. En effet, lorsque l’on veut mettre en avant les qualités intrinsèques du Féminin , il n’y a rien de plus aisé que de le placer en contraste avec les défauts notoires du Masculin, à savoir la violence. L’auteure parvient à faire exister ses personnages tour à tour sans déséquilibre, créant des relations engageantes et crédibles.

Coté graphique, la trait de Titouan Beaulin, dont c’est le premier album, rest naïf, avec un côté hésitant, mais il sied bien au contexte médiéval et au ton de l’album.

J’ai néanmoins une réserve sur la résolution de l’intrigue [ATTENTION SPOILER !]

Une fois la fameuse bataille terminée, Héloise, blessée, retrouve sa compagne Isaure et Armand. Héloise a sauvé le Roi d’une mort certaine, mais a pu constater que son désir d’aventures était assez éloigné des réalités de la guerre. Armand, quant à lui, décide qu’on doit lui couper un pouce, afin de maintenir la mascarade et être certain d’être renvoyé chez lui.

Une fois la besogne accomplie, Armand revient au camp, et constate que le départ précipité du Roi a laissé l’armée en pleine débâcle, et que beaucoup de soldats sont rentrés chez eux. Il est lui-même remercié, ce qui à mon sens, rend le sacrifice du pouce totalement inutile, puisqu’Armand aurait de toute façon été renvoyé… A moins qu’Armand ait vu sur le long terme et qu’il ait souhaité s’assurer qu’on ne lui demanderait plus jamais de porter une épée, auquel cas il lui aurait suffit de simuler une claudication…

Il n’en demeure pas moins que la Chevaleresse est un bel album jeunesse, traitant de sujets d’actualité par le prisme médiéval.

****·BD·Nouveau !

Furieuse

Histoire complète en 240 pages, écrite par Geoffroy Monde et dessinée par Mathieu Burniat. Parution le 14/10/22 chez Dargaud.

La Ballade du Seum et de l’Héroïsme

Oubliez la légende du Roi Arthur telle qu’on vous l’a racontée. Le héros au coeur pur qui tire l’épée enchantée du rocher pour affronter de méchants sorciers n’est qu’une gentille fable, un conte patriarcal et condescendant, qui ne saurait être plus éloigné de la réalité. Oh, bien sûr, comme tout conte, celui-ci a aussi un fond de vérité. Il y a très longtemps, Arthur se dressa bel et bien, muni de son épée enchantée, pour repousser une horde de démons tout droit sortis de l’Enfer.

Accueilli en héros, il conquit ensuite les royaumes voisins afin de les unifier, devenant Roi de Kamelott. Mais les années ont passé, et Arthur a depuis sombré dans l’alcoolisme et la dépravation, noyant ses années de gloire sous des couches de crasse et des litres de piquette. Désormais veuf, et n’ayant plus que sa fille cadette Ysabelle à ses côtés, il est bien loin de la légende.

Ysabelle, quant à elle, enrage de voir l’épave qu’est devenu son père. Elle, qui vit enfermée dans le chateau, ne rêve que de partir à l’aventure, mais elle peine à se soustraire à la convoitise du Baron de Cumbre, vieil énergumène libidineux à qui elle fut promise. Lorsque la jeune fille apprend, la veille de son mariage, que sa soeur aînée Maxine, absente depuis plusieurs années, avait justement fugué pour échapper à son union avec le Baron, son sang ne fait qu’un tour.

Ysabelle prend alors la décision la plus importante de sa vie: accompagnée de l’épée magique de son père, qui ne supporte plus l’ennui et les outrages qu’elle subit aux mains d’Arthur, elle fait son baluchon et part retrouver sa soeur. Ce sera le début d’un voyage initiatique rocambolesque, durant lequel Ysabelle s’émancipera de son père.

On connaissait Geffroy Monde pour des séries comme Poussière, où il officiait en tant qu’auteur complet. On le retrouve ici au scénario, secondé au dessin par Mathieu Burniat. Le duo donne naissance à une aventure décalée, assez éloignée des poncifs de la fantasy, et qui inflige de franches estafilades au mythe arthurien. L’idée que la descendance du Roi Arthur soit assurée par une fille impétueuse n’est pas nouvelle (il n’y a qu’à voir Olwenn, fille d’Arthur, série en 2 tomes chez Vents d’Ouest / Glénat), mais elle est traitée ici avec humour et dérision, ce qui ajoute un vent de fraîcheur bienvenu.

On adhère donc bien à la figure du héros déchu, et par conséquent à la cause de notre héroïne, qui souhaite s’affranchir du patriarcat et prendre en main son destin. Tantôt naïve, tantôt pourrie-gâtée, Ysabelle n’en demeure pas moins un personnage attanchant qui évolue tout au long du récit, avec en toile de fond la trame de l’émancipation.

L’auteur a aussi été bien inspiré de baser son récit sur une dynamique de duo, héroïne ingénue / épée qui parle, car il permet d’instaurer toutes sortes de situations rocambolesques et donne au scénario un pivot en trois articulations qui se suit avec plaisir tout au long des 240 pages (tout de même!).

S’agissant du ton, on sent de franches similitudes avec Les Sauroctones, notamment par la nature des dialogues ou par l’absurdité de certaines situations. Le trait simple mais très expressif de Mathieu Burniat se marie d’ailleurs à merveille avec ce ton décalé, sans pour autant verser dans la parodie.

Concernant les thématiques, nous sommes bien sûrs face à un récit resolument féministe, mettant en exergue l’émancipation féminine face à une engeance masculine faible, lâche, veule, qui ne voit la femme que comme une nuisance ou une ressource à exploiter. C’est d’ailleurs un trait représentatif de la société féodale, où les femmes étaient simultanément écartées du pouvoir tout en étant indispensable à la perpétuation des dynasties.

Furieuse est donc une vraie réussite, drôle, bien écrite, et dotée d’une identité propre. On n’est pas loin du 5 Calvin !

***·BD·Nouveau !·Rapidos

Là où naissent les histoires

image-9
couv_451713
BD de Pierre Christin et Virginie Augustin
Dargaud (2022), collection « Valérian et Laureline par… »

Redevenus enfants, Valerian et Laureline vivent sous la tutelle de Monsieur Albert sur la Terre du XXI° siècle, lorsque Galaxity confie à ces derniers une mission diplomatique au cœur du Caucase…

Valérian par... -3- Là où naissent les histoiresAlors que certains héros iconiques multiplient les spin-off, séries parallèles, hommages et autres artifices des éditeurs pour vendre toujours plus d’albums, on peut dire que sur Valérian, Dargaud reste fort discipliné en respectant le souhait des auteurs originaux de ne pas voir leur création devenir une attraction commerciale. Tellement qu’on se pince un peu en constatant les dates de parutions des trois uniques hommages de Larcenet (2011), Lauffray et Lupano (2017) et donc ce Christin et Augustin. Des trois, Là où naissent les histoires est le moins comique et interroge sur le statut de suite ou d’histoire solo de l’album, impression renforcée par la présence de Pierre Christin au scénario, dans un contexte qui rappelle étonnamment sa seconde passion scénaristique: le thriller diplomatique.

Alors que le début de l’album nous fait savourer le talent incontestable de Virginie Augustin qui est à l’aise dans absolument n’importe quel environnement, des plaines d’Hyborée aux bahuts parisiens, on migre ensuite dans une étrange intrigue diplomatico-écolo qui risque de laisser un peu sur le carreau les lecteurs qui ne connaissent pas particulièrement la chronologie de la série mère. Le rajeunissement https://www.ligneclaire.info/wp-content/uploads/2022/09/Page-8-scaled.jpgdes héros fait référence directe à la conclusion de la série en 2010 dans L’Ouvre Temps. Présentant différents protagonistes qui vont se retrouver au cœur d’un Caucase que Christin aime approcher, l’histoire devient malheureusement un peu brouillonne quand aux motivations des différentes crapules. On sent l’envie de parler de problématiques actuelles, de la surconsommation d’images à l’heure du Bing watching à la question des matières premières sans oublier d’aborder le féminisme cher à Virginie Augustin et incarné par la pétillante Laureline, mais si le contenu est intéressant la trame reste confuse.

Sans doute conçu comme un cadeau bonux vaguement fan-service, cet album luxueux réalisé par deux orfèvres de la BD peine à atteindre le niveau de ses deux prédécesseurs. Sans doute mal calibré et scénarisé par un spécialiste des thriller plus que des blagues, ce troisième Valerian vu par… aura du mal à enthousiasmer les découvreurs de la dernière heure.

note-calvin1note-calvin1note-calvin1

****·Documentaire·East & West·Manga·Nouveau !·Service Presse

Marie-Antoinette, destin d’une reine de France

Le Docu BD

marie-antoinette-kurokawa

Manga de Mayuho Hasegawa et Yuho Ueji
Kurokawa (2021), 165p., one-shot

Vous trouverez un rappel de la formule éditoriale sur le précédent album dédié à Cléopâtre.

bsic journalismMerci aux éditions Kurokawa pour leur confiance!

Marie-Antoinette, destin d'une reine de France, manga chez Kurokawa de  Hasegawa, KomagataAlternant chaque semaine un album Kurosavoir me revoilà sur un volume de la nouvelle formule dédiée aux grandes figures de l’histoire et le plaisir de constater son efficacité. En voyant le sujet dédié à Marie-Antoinette et la passion un peu désuète des japonais pour la Révolution française et les perruques je craignais de trouver un traitement à côté de la plaque d’un sujet parfaitement dramatique, la Révolution et la chute de la royauté. Et comme pour la reine égyptienne la garantie apportée par un historien change totalement la donne en parvenant une nouvelle fois à intéresser sur le plan manga et sur le traitement historique.

On navigue tout le long sur le fil d’une défense de la jeune noble fille d’empire sans tomber dans un contre-sens historique. On nous présente ainsi simplement le contexte familial très dur de la famille impériale d’Autriche et de la mère qui envisageait ses enfants comme de simples matrices destinées à donner des héritiers pour souder les alliances entre Nations. Envoyée à quatorze ans a mille cinq cent kilomètres de la famille qu’elle n’avait jamais quitté, elle se trouve alors confrontée à la rudesse de l’étiquette hyper-développée de la Cour de Versailles. Soumise à toutes les manigances de cour, la jeune femme se réfugia dans les loisirs futiles à mille lieues des problématiques du bon Marie-Antoinette, destin d'une reine de France - BDfugue.compeuple…

Abordant autant les problématiques économiques que les difficultés d’intégration de cette pauvre fille et ne passant pas sous silence la dureté des évènements de la période révolutionnaire (qu’on passe rapidement pour dispenser les jeunes lecteurs de séquences violentes), le manga est passionnant en joignant l’utile et l’agréable. Ce qui étonne tout le long dans cette collection c’est la capacité à traiter très sérieusement le fond avec un habillage léger de manga shojo. L’aspect psychologique de la situation de Marie-Antoinette la rend touchante même si l’on n’oublie pas le décalage criminel de cette noblesse coupée des réalités et se vautrant dans le luxe devant la misère du peuple.

Encore un coup au but sous ce format et l’on attend avec impatience le prochain!

note-calvin1note-calvin1note-calvin1note-calvin1

***·BD·Nouveau !·Service Presse

Helle Nice, une vie en vitesse.

Le Docu BD
BD de Giuseppe Manunta
Félès Editions (2021), 126 p., One-shot.

L’ouvrage des jeunes éditions Félès comporte un croquis en intérieur de couverture, un court texte de l’auteur en forme de préface et un cahier final de huit pages comprenant quelques photos et un étonnant lien entre ce projet et des actions de promotion de la vie d’Hélène Delangle. Le tout est totalement fabriqué en France (assez rare pour être souligné) sur un papier très épais et une fabrication royale. Le tout mérite un calvin d’édition.

couv_437101

bsic journalismMerci aux éditions Félès pour cette découverte

Hellé Nice - BD, informations, cotesC’est par l’entremise d’aperçus Instagram que j’ai découvert tout à la fois les éditions Félès, l’artiste italien Giuseppe Manunta (qui avait publié précédemment à feu les Editions du Long bec dont j’avais grandement apprécié la ligne graphique…) et la coureuse automobile Hélène Delangle, personnage typique d’une France des années folles que l’on retrouve sur l’album Joe la pirate. Si Hubert et Virginie Augustin ont pris le parti d’un féminisme homosexuel que la richesse de Marion Carstairs a permis de rendre exubérante de liberté, l’amour de la vitesse, l’absence de tabous et l’envie de se présenter en égale des hommes rassemblent les deux femmes indéniablement.

Ouvrage tout à la gloire de cette danseuse de music-hall peu vêtue qui se hissa de rien à la gloire des compétitions automobiles, Helle Nice reprend le nom d’artiste qu’elle adopta après une rencontre avec un soldat britannique (« elle est nice« ). On pourra reprocher au scénario un enchaînement de séquences que l’on aura parfois du mal à lier et l’impasse sur la jeunesse de la jeune femme qui pourrait expliquer cette envie de bruler la vie. Sans peur, elle fut une athlète réelle qu’un personnage décrit ainsi: dans les sports tout lui réussit. L’album saute ainsi d’amant en amant, tous fascinés par cette beauté, qui l’entraînent dans le monde de la course automobile et les différentes courses auxquelles elle aura participé. Bien peu d’explication de contexte hormis lors d’un passage en Italie fasciste et sur la difficile période de la Guerre qui font de l’ouvrage une sorte d’hagiographie plastique à une époque élégante et à un tempérament indomptable.

Hellé Nice- Une Vie en VitesseCar la partie graphique est absolument superbe et l’auteur une magnifique découverte. Amateur de belles formes il n’oublie pas de croquer les demoiselles dans leur plus simple appareil, avec un sens technique et une mise en couleur directe sublime. Sur le plan du plaisir visuel ce gros volume est donc un ravissement qui place Manunta dans le haut du panier des artistes italiens dans un style proche des argentins Ignacio Noe ou Gabriel Ippoliti. On prend un très grand plaisir à admirer la carlingue des voiture comme des dames, la mise en pli des messieurs et la matière des décors et des objets comme sur un album de Romain Hugault.

Très belle découverte qui souffre des défauts scénaristiques de nombre d’albums de dessinateurs et d’un projet original peut-être un peu trop élogieux, Helle Nice n’en reste pas moins un très bel album qui vous fera découvrir un personnage totalement méconnu, un milieu étonnant et une saveur nostalgique de cette belle France qui connaissait le mot Liberté.

note-calvin1note-calvin1note-calvin1

***·Jeunesse·Nouveau !·Rapidos·Service Presse

Les spectaculaires contre les brigades du pitre

BD de Régis Hautière et Arnaud Poitevin, couleurs de Christophe Bouchard.
Rue de sèvres (2021), série en cours les Spectaculaires , vol. 5., 54 p. par volume.

bsic journalismMerci à Rue de Sèvres pour leur confiance.

couv_416100Le Paris bourgeois est en ébullition! Une bande de clown sème la pagaille en apposant des slogans anarchistes partout dans la capitale… Lorsqu’un baron vient demander les services des Spectaculaires pour retrouver sa femme kidnappée, Pétronille est loin de se douter de l’importance de cette enquête…

Après un épisode très drôle mais en demi-teinte en matière d’intrigue, les Spectaculaires reviennent avec la régularité d’un métronome pour une cinquième aventure de retour dans les lieux marquants du Paris  1900. Depuis le précédent tome on a pris l’habitude de retrouver des trombines connues éparpillées dans les cases à la mode Asterix, modèle évident mais suffisamment digéré pour rester une simple inspiration. Vraie série jeunesse, cette BD assume de plus en plus un sous-texte résolument politique, inhabituel dans le genre et particulièrement savoureux! Ainsi, revenant à une intrigue policière plus classique, Hautière et Poitevin introduisent purement et simplement un faux frère du Joker dans les pattes de nos anti-héros, dans cette figure de pitre qui fait la nique aux bourgeois en bousculant la morale simpliste des héros. L’année des 150 ans de la Commune de Paris ce n’est bien sur pas un hasard, c’est gonflé de la part de Rue de sèvres et particulièrement appréciable en rejoignant le compère Lupano dans une démarche de propos de fonds impliqué sous des habillages de farce.

Spectaculaires (Une aventure des) #5 (Hautière, Poitevin, Bouchard)On aime les références dans cette série toujours drôle (les running-gags graphico-sonores comme la trompette du mouchoir de Félix nous décrochent toujours un sourire) et en la matière on n’est pas déçu: on citera pêle-mêle Orange-mécanique, Batman, Rouletabille, James Bond, Depardieu, Zorglub, Picasso, M. Demesmaecker ou le professeur Mortimer… Arnaud Poitevin maîtrise parfaitement les techniques d’action et des gags dans une lecture fort dynamique. Sur le plan de l’intrigue, si la série n’a pas toujours été très surprenante dans ses chutes on se prend ici à la surprise de savourer une révélation finale très réussie qui rajoute une couche de féminisme bien pensé à un album qui parvient à associer avec talent l’enquête humoristique, le fonds qui fera réfléchir y compris les jeunes et une ribambelle de références à la culture BD. On regrettera juste que le désormais fameux Arsène Lapin ne soit pas repris depuis son introduction fort réussie du précédent tome et on espère que les aventures familiale de Pétronille vont prendre l’ascendant d’une intrigue transversale qui peut donner encore plus de corps à cette série familiale que l’on attend toujours avec plaisir.

note-calvin1note-calvin1note-calvin1note-calvin1

***·BD·Documentaire·Nouveau !·Service Presse

Jujitsufragettes – les amazones de Londres

Le Docu du Week-End

BD Clément Xavier, Lisa Lugrin et Albertine Ralenti
Delcourt (2020), 128p. + cahier documentaire., one-shot. Collection Coup de tête.

bsic journalismMerci aux éditions Delcourt pour leur confiance.

La couverture comporte un vernis sélectif sur la première et quatrième et mise en avant de la préfacière Elsa Dorlin, médaille de bronze du CNRS. Le cahier final est un peu court (7 pages) et constitué essentiellement d’une double page documentaire prolongeant le combat des suffragettes après 1914, d’une biographie d’Edith Garrud et quatre pages dédiées aux littes féministes actuelles faisant la parallèle entre violences policières alors et maintenant.

couv_403976

En 1910 le mouvement des suffragettes s’affronte au rigide premier ministre britannique protecteur d’une société bourgeoise patriarcale qui n’envisage pas de bousculer ses habitudes en accordant le droit de vote aux femmes, fut-ce au prix d’une trahison de ses engagements. Victimes d’une répression policière féroce que le monde découvre dans les journaux, les féministes du WSPU font appel à une professeur de Jujitsu afin de leur apprendre à se protéger de leurs maris comme des policiers…

Jujitsuffragettes : le combat des femmes britanniques pour le droit de voteCe second album de la nouvelle collection sport et histoire de Delcourt est très différent du récent Croke park. Si ce dernier associait un vétéran du dessin venu des séries grand-public (Guérineau) avec un historien novice en scénario séquentiel pour un album très beau mais plus photographique que ludique, c’est l’inverse ici avec deux auteurs qui en sont à leur cinquième BD publiée et ont un parcours dans l’édition alternative et le fanzinat. Jujitsufragettes est ainsi un vrai album de BD, plein d’humour et construit sur une narration suivant Edith Garrud, la prof de Jujitsu qui embarqué dans le train de la lutte des femmes anglaises pour le droit de vote (on remarquera, sûrement un hasard, que les deux premiers albums de la collection nous rappellent les pratiques pas très démocratiques de nos cousins d’outre-Manche, que ce soit sur la terre d’Irlande ou auprès de l’autre moitié de leur population…). Malgré un sujet sérieux et des évènements résolument dramatiques, les auteurs font le choix du grand-public, l’album pouvant être lu par toute la famille. Le trait est simple mais plutôt précis techniquement et détaillé, les couleurs franches et agréables et outre l’insertion dans la BD de photos et dessins de presse d’époque Lisa Lugrin propose par moment de belles visions graphiques.

PressReader - Causette: 2020-08-26 -Sous couvert d’une relative simplicité donc, l’album propose des réflexions complexes sur les stratégies de lutte civiques en échos à tous les combats d’avant ou d’après. On nous explique très rapidement la situation tout à fait discriminatoire des femmes (qui ont le droit d’apprendre le Jujitsu, art martial asiatique, donc inférieur mais aucunement la boxe anglaise, art noble réservé aux hommes…) et la violence assumée du patriarcat politique assis sur une société bourgeoise corsetée dans des valeurs conservatrices où chacun doit rester à sa place, hommes, femmes, pauvres,… La séquence du procès montre par exemple un jury exclusivement masculin devant se prononcer sur la culpabilité d’une femme, qui nous rappelle les situations bien connues de la lutte pour les droits des noirs narrée dans le formidable Wake up America. Sans que la référence au socialisme ne soit mise en avant, on comprend vite la nécessité de convergence des luttes des suffragettes avec les autres combats pour contester les carcans de l’Angleterre victorienne. La vendetta de Jay n’est pas loin et les hommes ne reculeront devant rien pour supprimer cette exigence: matraquage, alimentation forcée des prisonnières en grève de la faim, etc.

Face à cette violence l’apport d’Edith Garrud a été de montrer l’autodéfense (loin des idées de non-violence souvent appliquées ensuite dans les combats historiques donc) à ces femmes habituées à être soumises. Il est symboliquement amusant de constater que les suffragettes se sont retrouvées à appliquer un art-martial retournant la force de l’adversaire contre lui-même face à des policiers pratiquant la force brute de la boxe. Comme une transposition physique des combats politiques. L’on apprend plein de choses dans cet album,  comme ce film montrant à l’écran l’autodéfense d’une femme victime de violences matrimoniales et qui a semble t’il été déterminant pour l’avancée de cette cause auprès du grand-public (de ce qui était tout de même une démocratie, limitée mais réelle). Il fallut cependant attendre la fin de la première guerre mondiale pour voir tomber assez vite cette résistance politique, en nous rappelant que la France dut attendre vingt-cinq ans de plus pour voir appliquer le même droit aux femmes.Jujitsuffragettes : le combat des femmes britanniques pour le droit de vote

Doté d’une galerie de personnages très intéressante, d’une couverture du sujet à la fois pédagogique et radicale sans être militant, Jujitsufragettes montre combien la BD peut admirablement avancer des sujets méconnus de façon ludique et percutante. Si la partie graphique n’est pas inoubliable mais très efficace, l’album indique la volonté d’une collection grand-public, ce qui n’est pas un mal pour mettre en avant de la BD politique et sociale.

note-calvin1note-calvin1note-calvin1

****·BD·Mercredi BD·Nouveau !

Un putain de salopard #1: Isabel

BD du mercredi
BD de Régis Loisel et Olivier Pont
Rue de sèvres (2019), 88p., série en cours 1 vol. paru sur 3.

couv_360594La couverture est superbe et le titre diablement intrigant et accrocheur. Un pari réussi sur ce coup de poker étonnant qui a fait parler de lui! Une biblio des deux auteurs est proposée en ouverture. Hormis cela rien de particulier. A noter que contrairement à ses habitude, l’éditeur n’indique pas de nombre de tomes prévus, ce qui est bien dommage, surtout sur une série de Loisel qui nous a habitué à des séries relativement longues.

Années 70, frontière du Brésil, Max arrive en terre inconnue pour retrouver son père, dont il ne connaît pas le nom… Il tombe sur un trio de copines délurées qui le prennent sous leur aile. Entre chaleur tropicale, camps d’ouvriers où règne une loi très primitive et amours simples, Max entame une quête improbable au sein d’une hostile Amazonie où les Mythes et croyances semblent ne pas avoir tous disparus…

Je dois dire que le titre a été l’élément accrocheur qui m’a fait m’intéresser à cette série en titillant ma curiosité. Les deux noms d’auteurs m’ont poussé à l’acheter: si je ne suis pas un fanatique de Loisel dont j’ai tendance à apprécier plus les scénarios que les albums qu’il a dessiné, j’avais énormément aimé le style d’Olivier Pont sur Où le regard ne porte pas… série qui a beaucoup de proximités avec Un putain de salopard (j’y reviens).

Ma première surprise après avoir refermé ce premier volume porte sur le ton de l’album, que j’attendais beaucoup plus sombre au vu du titre. Or si le sujet est bien « Max au pays des salopards » avec un univers féroce qui contraste avec la bonhomie des « 3C » (Corinne, Charlotte, Christelle, les trois filles de l’équipée), le traitement rappel l’atmosphère colorée et rigolote du Magasin général ou du diptyque d’Olivier Pont et Grégoire Abolin. Dès les premières planches à la superbe mise en couleur de François Lapierre (que Loisel a amené dans ses valises depuis ses séries précédentes), on savoure le style à la fois cartoon et très graphique d’Olivier Pont, qui se retrouve dans un univers familier fait de cabanes bricolées, de ciels azure et de feuillages verts profonds. Les respirations ésotériques apportent cette touche de mystère que le dessinateur  avait su tisser dans son grand succès… une autre histoire de copains! Cette proximité entre les deux séries n’est pas une redite, elle raconte l’univers personnel d’un grand dessinateur qui rencontre un autre auteur amoureux de la nature. Car du vert il y en a dans ce Putain de salopard! Pages après pages, une bonne partie de l’histoire se déroule en effet dans une fuite de Max et son équipière muette, l’indienne Isabelle, aussi belle que mystérieuse, au sein de la jungle où entre fauves, pluie et maladies la chasse va se rapprocher de la quête initiatique. Malgré ce décors monotone, les planches ne le sont jamais. Avec un art du cadrage et des détails remarquable, le dessinateur (et son scénariste?) parvient à rendre chaque case superbe, inspirée, dessinée. Résultat de recherche d'images pour "un putain de salopard pont"Je note très souvent dans mes critiques la différence entre les bons albums où le dessinateur délaisse ses arrières-plans et les grands albums où chaque détail est travaillé. C’est le cas ici, au-delà d’un simple jeu premier/arrière-plan où la BD vire presque au documentaire animalier, Olivier Pont prends le temps tout au long de ses quatre-vingt pages de peaufiner ce qui fait vivre un univers, ces mille petits détails, mouvements, personnage qui donnent envie d’aller de l’autre côté de la page.

Cette vie est aussi apportée par les personnages, la grande force de Loisel. Ici l’on n’est pas chez les apollons et nymphes que beaucoup de BD nous dépeignent. Si le dessinateur sait dessiner de beaux traits, le duo croque volontairement des filles un peu grasses, un peu maigres, des ouvriers-esclavagistes pas-tibulaires mais presque, ou son héros bien couillon avec ses grandes dents. Les trognes de Corinne, la nympho libre, sont à mourir de rire et les séquences aux dialogues très dynamiques rendent la lecture rapide et joyeuse. On se sent bien avec les « trois C », un peu naïves, amoureuses de la vie, positives en diables et qui apportent une modernité à cet espace loin de la civilisation.

Résultat de recherche d'images pour "un putain de salopard pont"Le dernier élément qui rend cette BD attachante c’est son féminisme béat. Les deux gugus aux manettes de l’album nous dépeignent ce que l’on imagine la Guyane (l’album commence sur un tarmac au Brésil mais tout le monde parle français), où seules les femmes sont intelligentes et rassurantes. Les bonshommes sont soit moches, soit inquiétants, soit violents, soit les trois. Les filles sont amoureuses, optimistes et ont le savoir… J’ai pris beaucoup de plaisir en compagnie des quatre zigoto dans ce début d’odyssée contre l’injustice que l’on imagine virer vers le grand feu d’artifice dans les prochaines tomes. Sur un sujet presque aussi sombre que le Katanga de Nury et Vallée, je préfère cette lumière et cet optimisme où la beauté des feuillages rencontre la beauté des personnes. Et avec deux auteurs aussi talentueux on aurait presque envie que l’aventure se prolonge sur la longueur…

note-calvin1note-calvin1note-calvin1note-calvin1

Achetez-le chez njziphxv

**·BD·Mercredi BD

Le cœur des amazones

BD du mercredi
BD de Géraldine Bindi et Christian Rossi
Casterman (2018), 156 p. monochrome.
9782203093768

L’ouvrage est très copieux, très dense, avec un format large et une maquette harmonieuse reprenant une typographie de type Grèce antique. La couverture est intrigante bien qu’elle ait pu être plus attirante.

Alors que les grecs assiègent Troie, une horde de femmes guerrières enlève des soldats. Ce sont des amazones, clan de femmes isolées dans une forêt insondable et fonctionnant dans un régime matriarcal qui semble proche du paradis. Mais les cœurs peuvent diverger des coutumes lorsque les hommes font irruption dans ce monde clos…

Le cœur des amazones est clairement un ouvrage féministe, écrit par une femme, et dont l’esprit initial  (en bien plus sérieux) est proche de celui de Mondo Reverso, la farce de Bertail sortie cette année. Image associéeMais si l’idée est une réflexion sur la place et le rôle de la femme dans nos sociétés, ici on est tant graphiquement que dans le traitement, dans quelque chose de beaucoup plus réaliste, voir pesant. L’album a beaucoup fait parler de lui cette année, notamment quand à l’épaisseur du projet, qui a nécessité un très gros travail. Sur ce point je donnerais une première réticence. L’histoire telle qu’elle est traitée ne justifiait pas à mon sens un album si volumineux, qui du fait de la place dont il dispose, ne cesse de faire des aller-retour géographiques ou entre les personnages, avec une impression de redondance. L’intrigue est longue à se mettre en place, avec  en somme trois parties: l’enlèvement des hommes et la découverte de cette société idéale, le problème de la reine, interdite d’amour tant qu’elle n’a pas trouvé de sang royal, la crise et l’irruption du fantastique. Dans ce cadre l’album nous fait assister à un nombre important de rapts et confrontations entre les hommes et les femmes, qui auraient gagné à être simplifiés. Le message, intéressant, est bien celui du risque de l’isolationnisme et de l’individu face à un système idéologique contre Nature. Les amazones sont des femmes et ont besoin de sexe et d’amants. On aurait pu nous présenter cette société comme homosexuelle (cela aurait été cohérent) mais cela n’a pas été le choix des auteurs qui les montre comme frustrées et dépendantes de l’homme et de leur fragilité, sous des couverts de guerrières impitoyables.

L’histoire décolle avec Achille, dont le look un peu 70’s est étrange, comme d’autres  personnages aux allures d’amérindiens ou le fait de présenter les personnages nus sur la quasi totalité de l’album. On comprend le concept d’une époque pré-historique où les dieux et les héros sont encore parmi nous, proche des mœurs grecques sans pudeur et d’un aspect tribal que les auteurs ont voulu donner à cette peuplade. Mais très basiquement, comme pour un album de SF présentant des personnages en uniformes similaires, au fil des 150 pages on tombe dans une certaine banalité graphique, d’autant que le dessin de Rossi (volontairement ou non) n’apporte rien de sensuel aux formes nues. Son style de dessin donne également une certaine statique que je trouve dommage, surtout que sa maîtrise anatomique du mouvement est sans aucun accroc. Question de goûts. Le sépia en lavis est évidemment très esthétique mais le fait que seuls les premiers plans soient ainsi texturés (parfois toute la case, sans que l’on sache pourquoi là et pas ici), laisse un certain nombre de cases étonnamment épurées voir non finies.

La meilleurs partie  de cet album – qui confirme pour moi que les auteurs auraient dû assumer une histoire mythologique symbolique – est à compter de l’irruption du fantôme Chiron (je vois renvoie à l’excellente série d’Edouard Cour Heraklès qui explique très bien qui est qui). Les dialogues deviennent drôles par moment, relâchant une ambiance lourds et faisant respirer le scénario. La multiplicité des protagonistes se retrouve simplifiée à des éléments archétypaux qui aident à raccrocher le lecteur: la reine révolutionnaire, l’ancienne conservatrice, la shaman en lien avec les esprits… Cela permet de faire enfin évoluer un débat sans fin sur la place des hommes et d’évacuer le contexte troyen qui ne justifie pas de revenir souvent dans l’histoire.

Vous aurez compris que j’ai été déçu par cet album qui avait été présenté comme très réussi. Je n’ai pas pris beaucoup de plaisir ni graphique ni textuel, tout en reconnaissant le très gros boulot qu’il a représenté. Le projet me semble bancal et finalement n’arrive pas à toucher son but. Le message politique est caché, le féminisme est relatif (j’ai trouvé l’album de Bertail beaucoup plus percutant et profond sur ce plan). Je m’attendais à une analyse ethnographique de cette société comme peuvent le faire Bourgier et David sur l’exceptionnelle série Servitude… Il est possible qu’il s’adresse à une sensibilité féminine (je l’ai déjà constaté sur certains albums), mais personnellement le temps passé dans cet univers d’amazones pourtant attirant m’a laissé stoïque. Dommage.

note-calvin1note-calvin1

Achetez-le

badge-cml

***·BD·Edition·Rapidos

Emma G. Wildford

BD de Zidrou et Edith
Soleil-Noctambule (2018), 100 p.
d8916d2bc5c06f443b4ea150d0e949d4

Le coup éditorial était bien vu en proposant un très bel objet assez unique dans le genre: un album au format court proposé dans une couverture à rabats aimantés et de faux documents d’époques insérés dans les pages de l’album. La fabrication est remarquable et vous plonge dans l’univers romantique de l’Angleterre victorienne, de la société royale de géographie des jeunes héritiers explorateurs. La couverture est très élégante, … bref niveau éditorial c’est du tout bon.

Emma attend dans la chaleur de la campagne anglaise des nouvelles de son amant, explorateurs parti découvrir le sanctuaire d’un dieu norvégien. Dans cette société machiste, paternaliste, de l’Empire britannique triomphant, Emma apparaît comme une féministe, séchant son beau frère comme les vieux mandarins de la Royal geographical society lorsqu’elle décide de partir elle-même à la recherche de son fiancé, elle la poétesse méprisant les conventions mais jamais sortie des jardins britanniques. Est-elle une enfant trop gâtée ou une intelligence émancipée?

Je parlais donc de coup éditorial… et c’est ce qui m’a finalement un peu agacé au final dans cet album pas extraordinairement original mais bien construit et aux personnages sympathiques (comme souvent chez Zidrou). La facture très spéciale de l’objet n’a finalement aucune justification scénaristique et apparaît comme un pure gadget qui aurait pu être adapté à n’importe quel album (pour un surcoût pas totalement bénin tout de même). Cela n’enlève rien à sa qualité ni au côté agréable mais c’est frustrant car avec un tout petit travail d’insertion des objets dans le scénario cela aurait permit de proposer de vraie interaction avec le lecteur, dans l’esprit de ce que certains ont essayé en format numérique.

Si l’on revient à la seule BD nous avons donc une histoire sympathique, moyennement dessinée mais aux jolies couleurs qui prennent leur intérêt dans la seconde partie située en Norvège. La principale qualité de l’album réside donc dans la personnalité très moderne d’Emma, dotée du soupçon nécessaire de complexité et créant quelques scènes amusantes aux dialogues vifs. Dans le genre classique du portrait féminin romantique on est plutôt dans le haut du panier mais sans révolutionner non plus le genre, ni graphiquement ni thématiquement.

note-calvin1note-calvin1note-calvin1