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La cellule: enquête sur les attentats du 13 novembre 2015

Le Docu du Week-End
BD de Soren Seelow, Kévin Jackson et Nicolas Otero
Les Arènes (2021), 238p., one-shot.

Cet article a été publié dans une première version sur Mediapart.

La belle maquette et couverture habituelle des Arènes (fabrication solide) ouvre l’album sur un texte introductif détaillant le contenu de l’intrigue en ouverture du chapitre prologue. Une citation d’Albert Camus vient habiller ces premières pages. Le récit comporte cinq chapitres plus le prologue. Il se conclue par la liste des victimes, l’organigramme des vingt personnes jugées au procès et une bibliographie des sources consultées.

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bsic journalismMerci aux Arènes pour leur confiance.

91g6rhtn0zlCela fait six ans que le 11 septembre français a eu lieu. Six ans que l’oubli thérapeutique a permis aux français de continuer à vivre, malgré la menace, toujours présente. L’assassinat de Samuel Paty nous l’a rappelé récemment. Pour qui n’a pas suivi tous ces derniers mois les évolutions de l’enquête judiciaire cet album sera un choc, un retour en forme d’épreuve sur une année où le nouveau Califat islamiste n’est pas passé loin de son objectif de mettre à genoux la patrie des droits de l’homme et de la laïcité.

Le dessinateur Nicolas Otero s’intéresse depuis longtemps aux récits journalistiques ou d’actualité en commençant sa carrière sur des enquêtes autour du Klan dans la série Amerikkka. Plus récemment il a travaillé sur la tuerie militaire de Thiaroy ou sur la problématique des abattoirs. Dans ce récit à la progression clinique il a travaillé avec le journaliste du Monde Soren Seelow et Kevin Jackson, directeur d’études au Centre d’Analyse du Terrorisme, dans un format proche du documentaire photo. Ainsi son apport a consisté à habiller la mise en page et travailler en style dessiné des photographies et notamment les portraits des terroristes impliqués de près ou de loin dans les attentats. Et c’est ce choix, s’il n’est pas le plus esthétique, qui provoque ce sentiment de tension, cette nausée sidérée que l’on garde tout au long de la lecture.

91fg827fbplDébutant aux « prémices » des attentats de Charlie en janvier 2015, on entame alors une virée au cœur de Daesh tout au long de cette année où l’on comprend que, autant par concurrence entre Al Quaïda (organisation ayant revendiqué les premiers attentats) et le nouvellement proclamé « Califat » que pour être ceux qui provoqueront le « 11 septembre français », cette cellule menée par Abdelhamid Abaaoud s’organise pour mener son grand œuvre. Ce qui sidère et terrifie c’est la détermination sans faille, la froideur dans l’exécution, dans l’anticipation et même lorsqu’ils sont en cavale après leur forfait, de ces jeunes hommes. Si les trous béants dans la coordination entre les services belges et français (plusieurs fois les futurs tueurs seront arrêtés et relâchés) font tiquer, c’est surtout à un véritable récit d’espionnage à l’ancienne que l’on est soumis. Le professionnalisme, l’inventivité, la rigueur de ces tueurs n’ont rien à envier aux professionnels de la sécurité occidentaux, issus des plus grandes écoles et dotés du meilleur équipement. Car on touche les failles de nos démocraties et de cette Europe faite de libre circulation et d’une absence de frontières dont on saisis ici toutes les conséquences en matière de sécurité publique. Ainsi le passage par avion est strictement impossible (sans que les terroristes soient pourtant inquiétés). Les mailles du filet sont étroites, mais lors de vagues de réfugiés issus de la guerre syrienne le système s’avère débordé. Tout au long de l’enquête le Renseignement se contente de courir après Abaaoud et ses ouailles malgré de nombreux contacts infructueux faute de motifs légaux pour les incarcérer. Jusque au dernier moment, lorsque le Juge Trévidic alerte dans la presse sur l’imminence d’attentats meurtriers et sur des services démunis, on constate l’inéluctabilité du projet jusque dans sa conclusion où seul un hasard permet d’empêcher que la cellule ne lance d’autres attaques…2021-08-21-14-36-21

 

Tout au long des cinq parties, ces visages (issus pour la plupart de fichiers policiers) nous fixent, agrémentés de dialogues qui nous placent dans l’immédiateté documentaire. Le procédé est redoutable tant il nous donne le sentiment de vivre le quotidien de ces personnes qui loin d’être folles, se recouvrent d’une réalité alternative faite de chevalerie, de croisés et de paradis des martyres. A quelques exceptions près, quelques ratés qui font s’interroger les enquêteurs sur des hésitations de dernières minutes, jamais ils ne doutent et se saluent simplement avec rendez-vous « de l’autre côté » avant de lancer leurs offensives suicides. Si l’on connaît la rigueur sanglante de 91ueprry4tlDaesh dans les décapitations et autres démonstrations de terreur on constate plutôt ici une famille bienveillante des bon contre les mécréants. Dans cet univers imaginaire la « vengeance » contre les attaques des coalisés en Irak est froidement analysée et justifiée, sans aucune faiblesse. Les stratégies de terreur incluent dans l’équation les réactions de la population, l’effet médiatique, de l’image, tout de qui fait nos démocraties devient une faille dans laquelle s’engouffrent ceux qui sont, nés qui en Belgique, qui en France. Et l’on comprend que tant que des bases opérationnelles et des soutiens logistiques seront possibles, nous ne serons jamais en sécurité tant leur détermination leur donne plusieurs coups d’avance sur les services anti-terroristes…

Outre la sècheresse du récit c’est sa sincérité qui marque. Bien sur on lance par moment un manque de moyens et des réglages inter-services qui pourraient resserrer les filets. Mais tous les agents du contre-terrorisme en sont conscients: il n’y a pas de solution de long terme pour empêcher des personnes aussi déterminées de semer la mort. Se posent alors en filigranes ce que François Durpaire avait abordé dans un mode dystopique sur sa série La présidentela question de notre morale républicaine et démocratique, ces principes absolus qui reposent notamment sur le passage in fine de la Justice. Quoi qu’il en coûte et pour ne pas perdre notre âme dans ce conflit civilisationnel.

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***·BD·Nouveau !

Les fiancées du califat

La BD!
BD de Matz, Marc Trévidic et Giuseppe Liotti
Rue de sèvres (2021), 64p., one-shot

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Merci aux éditions Rue de sèvres pour leur confiance.

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Elles sont cinq. Toutes très différentes, brunes et blondes, maghrébines ou caucasiennes, mères ou adolescentes. Elles sont réunies pour faire changer la face du Djihad en montrant aux moudjahidin comme aux mécréants que les femmes ont leur place dans la guerre sainte contre l’Occident. Elles sont les filles du Califat…

L’attrait du nom de Marc Trévidic le célèbre juge anti-terroriste adjoint au non moins célèbre Matz, scénariste de la série à succès Le Tueur (prochainement adaptée à la télévision par Fincher et Fassbender!) attire inévitablement l’œil à l’amateur de thrillers. En parcourant le net je découvre que le trio sort d’une trilogie du même type chez le même éditeur sur laquelle ils ont pu parfaire leur recette.

Les fiancées du califat | Rue de SèvresOn constate immédiatement l’incroyable progrès de Giuseppe Liotti entre cette série et les fiancées du Califat, notamment en matière de colorisation. En affirmant son style et en se rapprochant de l’école hispanique il propose de superbes séquences de dialogue où ses personnages très expressifs et physiquement caractérisés profitent d’encrages superbes. Que ce soit sur les décors, architectures et éléments techniques ou sur les personnages c’est un sans faute précis et élégant qui le hisse soudainement dans la catégorie des très bons dessinateurs capables de porter un album à eux tout seuls. Je ne connaissais pas cet auteur et ai été assez bluffé sur sa qualité graphique tout au long de l’album, jusqu’à une couverture très intelligemment composée et qui fait son office sur la pile du libraire avec ce côté sexy répondant à la silhouette voilée.

Les fiancees du califat - cartonné - Giuseppe Liotti, Marc Trévidic, Matz -  Achat Livre ou ebook | fnacCar l’intelligence et l’originalité du scénario de Matz et Trévidic est de centrer quasi exclusivement leur intrigue sur cette cellule d’apprenti-djihadistes qui doivent montrer autant à leurs frères d’armes qu’aux autorités de quoi elles sont capables.  Ainsi on prend le temps de comprendre les profiles de chacune, à la fois très différents et crédibles, sans pour autant détailler leurs motivations et itinéraires. Il aurait sans doute fallu un diptyque en cent-vingt pages pour avoir le temps d’approfondir le fonds de l’intrigue et c’est la principale limite de cet album sommes toutes très bien réalisé. Des indices sont instillés dans les dialogues mais en choisissant d’axer leur narration sur l’action et un découpage rapide et fluide les scénaristes restent un peu en surface. Sur un thème proche on aboutit à une atmosphère inverse au troisième tome de la série de Christin et Juillard, Léna,avec la volonté de rester grand public en alternant séquences de débats des deux côtés de la loi, scènes de filature et séquences d’action visuellement très efficaces.

Les fiancées du califat | Rue de SèvresOn passe ainsi comme dans toute histoire policière des filles aux flics en planque, des commanditaires en Afghanistan au juge chargé de l’affaire, tout ce petit monde articulant un récit qui se lit vite autour de bons dialogues et une intrigue sommes toutes assez construite. Les hypothèses sur l’utilisation des charmes des filles comme de la burqa pour passer soit inaperçue soit utiliser la stratégie du trop visible pour être vue sont suffisamment bien amenées pour ne pas briser la crédibilité de ce récit sérieux et documenté. Les tiraillements inhérents à ce genre de projets amènent bien entendu des tensions dans le groupe et ce sont bien ces débats houleux qui nous intéressent, non sur la finalité terroriste du projet que sur le choix des soldats envoyés mourir ou sur le mode opératoire. Cette complexité permet de maintenir la tension que l’enquête policière, un poil linéaire, effleure.

Les fiancées du califat est au final un ouvrage à la réalisation sans faute, élégant, aussi bien écrit que dessiné et qui aborde le thème terroriste sous un angle inédit. L’ambition (et la qualité) des auteurs aurait largement justifié un second tome qui aurait permis de densifier et complexifier l’intrigue d’un album qui mérite néanmoins amplement votre intérêt.

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