
Histoire complète en 112 pages, écrite par Romain Benassaya, d’après son roman éponyme, et dessinée par Joan Urgell. Parution chez les Humanos, en partenariat avec les éditions Critic, le 25/01/23.


Merci aux Humanos pour leur confiance.
No way home
Comme certains le disent avec tant de tact, la Terre, tu l’aimes ou tu la quittes. Fatiguée par les ravages de l’anthropocène, la planète a fermement poussé les humains vers la sortie. En désespoir de cause, deux arches stellaires nommées ARCA I et III (ne me demandez pas où est passée la II) furent déployées, avec à l’intérieur de quoi assurer le renouveau du genre humain, sur une exoplanète baptisée la Griffe du Lion: des milliers de passagers en animation suspendue, du matériel, ainsi qu’une serre géante, gérée par des organismes issus de la bio-ingénierie, les Jardiniers, le tout pour un voyage de deux-cent ans.

A son réveil, Eric Rives comprend que quelque chose ne va pas. L’arche ne se trouve pas dans le bon système, ni à aucune cordonnée connue, d’ailleurs. Lorsque les survivants sortent du vaisseau pour explorer les alentours, ils constatent que l’arche est posée sur un sol inconnu, et qu’aucune étoile n’est visible dans le vide environnant. Tout porte à croire qu’ils sont piégés dans une structure gigantesque, dont il est impossible de définir les limites. Plus étrange encore, l’état de la serre et des Jardiniers laisse penser que l’arche est en perdition depuis bien plus que deux-cent ans…
Parmi les caractéristiques intrinsèques du genre SF, on trouve celle d’interroger le devenir du genre humain. La quête d’un nouveau foyer est donc une bonne opportunité pour explorer les limites de la résilience humaine, sa volonté de vivre et sa soif d’exploration. Ce thème offre également aux auteurs la chance de mener quelques expériences en psychologie sociale, et ainsi imaginer comment se les humains feraient société ailleurs que sur Terre, qui prendrait le leadership, comment le pouvoir serait redistribué avec des ressources limitées.
Un autre thème cher aux oeuvres de SF est le lien qui unit l’Homme à ses outils. Dans 2001 Odyssée de l’Espace, le récit nous montre l’ascension de l’Homme grâce au premier outil (l’arme en os), avant de confronter plus tard les explorateurs à un outil devenu conscient, HAL. On retrouve à peu de choses près la même dynamique dans Arca, avec les Jardiniers, conçus initialement comme de simples outils, qui évoluent et s’éveillent à la conscience.

En revanche, il y a aussi des écueils que l’on reproche à la SF, à savoir la minceur de ses personnages. Cela est généralement dû au décalage entre des enjeux grandioses, dépassant les intérêts individuels. Lorsqu’on parle d’immensité spatiale et d’avenir de l’Humanité, il est assez difficile pour l’auteur de se sentir concerné ou de se concentrer sur des destinées individuelles. Ici, pourtant, l’auteur prend garde d’incarner correctement ses personnages principaux, en tissant entre eux des liens fort qui évoluent au fil du récit et en fonction de leurs croyances propres. Entre survie élémentaire et nécessité de prendre des risques pour explorer, le scénariste place chacun de ses personnages en opposition les uns avec les autres au travers de ce thème, ce qui dynamise le récit et nous implique davantage.
L’histoire aurait pu basculer dans l’horreur cosmique chère à Lovecraft, mais la piste n’est que suggérée et jamais assumée pleinement, ce qui aurait pu donner une teinte intéressante à l’album.
Sur le plan graphique en revanche, le dessin réaliste de Joan Urgell est très travaillé, autant sur les décors que sur le design des créatures. On peut saluer l’usage des couleurs directes, qui est un choix toujours risqué à l’ère du tout-numérique.
Arca est donc une récit de SF classique mais très efficace, qui maintient le lecteur en haleine grâce au mystère qu’il entretient tout au long de son intrigue.