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Hoka Hey !

Histoire complète en 222 pages, écrite, dessinée et mise en couleurs par Neyef. Parution au Label 619 le 26/10/2022.

So long, cowboy

Comme chacun sait, le prix pour à payer pour bâtir une nation est élevé, surtout s’il s’agit d’une nation blanche érigée au détriment des autres peuples. L’une des nations les plus récentes du globe, mais aussi la plus puissante, ne doit en effet son existence qu’à l’oppression et à l’extermination de peuples indigènes et/ou réduits en esclavage.

Après les guerres indiennes, à l’issue desquelles plus de 90% des peuples amérindiens ont disparu, les survivants étaient soit parqués dans des réserves, soit assimilés de force dans la culture dominante. Ce fut le cas du jeune Georges, qui fut arraché enfant à sa tribu Lakota pour être évangélisé par le Révérend Clemente, qui le considérait tout au plus comme une ouaille tolérable plutôt que comme un fils adoptif.

Alors qu’il sert encore une fois de faire-valoir au révérend en récitant des évangiles devant sa nouvelle conquête, Georges est interrompu par un trio de bandits, des hors-la-loi recherchés qui mènent à leur façon les prolongations des guerres indiennes. Little Knife, No Moon et Sully interrogent le révérend à propos d’évènements tragiques du passé et sur la localisation d’un homme, dont le jeune garçon n’a jamais entendu parler.

Une fois l’affaire réglée, Little Knife, ucléré de voir un Lakota ainsi fourvoyé par des blancs et désireux de ne laisser aucun témoin, s’apprête à abattre Georges. Mais No Moon s’interpose, suppliant son ami de ne pas abattre l’un des leurs. Bien malgré lui, voilà que Little Knife, guerrier Lakota redouté dans toutes les plaines de l’Ouest, à l’origine d’exactions punitives qui lui ont valu une belle mise à prix, se retrouve à jouer les nounous-précepteurs pour ce petit homme qui l’agace autant qu’il lui rappelle sa propre enfance.

Que cherche vraiment le gange de Little Knife ? Georges survivra-t-il à sa chevauchée forcée aux côtés de ce dangereux trio ?

Jusque-là, le Label 619 avait exploré tous les genres, et toutes les cultures, mais conservait une appétence pour le rêve américain et ses travers. Le genre du Western ne leur est donc pas étranger, et c’est au tour de Neyef, de s’interroger sur le devenir des amérindiens dans un pays qui n’est plus le leur. Le dernier western que j’avais en tête venant du Label 619 était Horseback 1861, qui ne brillait ni par l’originalité de l’histoire, ni par son exécution. On change carrément la donne ici avec Hoka Hey ! et ce à plusieurs égards.

En premier lieu, la pagination généreuse, qui permet d’installer une histoire complète sur le long cours, ce qui inclut des personnages écrits avec maturité plutôt qu’à l’emporte-pièce. Tout en conservant un ton crépusculaire, amer, Neyef parvient à insuffler un ton humaniste dans un univers très dur, voire cruel. La thématique du refus de l’assimilation et l’attachement à une culture d’origine, bien qu’elle ne soit pas universelle, est néanmoins transposable à d’autres cultures et d’autres histoires, donnant à Hoka Hey ! une allure de parabole. Comme dans la majorité des westerns, on n’échappe pas à la sempiternelle quête de vengeance, mais l’auteur insiste bien quant à la vacuité d’une telle poursuite, car tout personnage a toujours davantage à y perdre que ce qu’il croit. L’intrigue en elle-même reste simple. Malgré la longue pagination, elle ne fait pas de détour inutile ni ne donne de sensation de longueur ni de remplissage.

En second lieu, on se doit de mettre en avant la qualité graphique de l’album, le grand format aidant l’auteur à installer des décors somptueux où la nature sauvage reprend tous ses droits.

Odyssée périlleuse, ôde somptueuse à la liberté, mise en garde contre le fiel dévorant de la vengeance, mise en exergue du sort des amérindiens dont les ossements gisent dans les fondations des USA, Hoka Hey ! est tout ceci à la fois, et ce serait criminel de ne pas y attribuer un 5 Calvin. Bang ! Bang !

***·BD·Nouveau !·Service Presse

Ghost Kid

bsic journalism

Histoire complète en 78 pages, écrite et dessinée par Tiburce Oger, parue le 19/08/2020 chez Grand Angle.

Merci aux éditions Grand-Angle pour leur confiance.

True Grit of the Taken

La fin du 19e siècle nord-américain a marqué la fin d’une ère, celle des grandes conquêtes et du règne hégémonique du Colt. Ambrosius Morgan est une relique de ces temps reculés, qui assiste de loin à l’avènement de la civilisation, exilé au fin fond d’un ranch perdu dans le Dakota du Nord.

Old Spur, comme on le surnommait, n’est plus dans sa prime jeunesse mais n’a pas lâché la rampe pour autant. Trainant péniblement sa carcasse, il ressasse le bon vieux temps avec ses compères d’antan tout en s’occupant du bétail de Miss Fitzpatrick.

Un jour d’hiver, Morgan reçoit une lettre. Lui qui n’a personne et vit seul depuis des lustres, est bien surpris par cette missive. Le vieux cow-boy le sera encore plus lorsqu’il découvrira que cette lettre émane d’une certaine Ana Saint James, une femme qu’il aima jadis et qui lui apprend qu’il est père d’une fille, nommée Liza Jane.

Ana est désespérée car Liza Jane a disparu depuis plusieurs mois, lorsqu’elle et son époux sont partis sur la route de San Diego afin de s’y établir. En dernier recours, la mère éplorée, désormais veuve, se tourne vers cet amour de jeunesse à qui elle a caché la vérité, pour retrouver la jeune femme.

Le choc est double pour Old Spur, qui décide sans tarder de reprendre la route pour retrouver la trace de cette fille qu’il n’a jamais vue. Mais cette impromptue remontée en selle ne sera pas de tout repos pour notre héros, qui va au passage régler quelques comptes et traverser bien des péripéties.

On the road again

Avec ce Ghost Kid, le talentueux Tiburce Oger revient à ses premières amours et il nous le fait savoir. L’auteur de Gorn et des Chevaliers d’Émeraude concocte un western sage et contemplatif, avec au centre un vieux briscard attachant dont on peut aisément saisir les motivations.

La traversée est lente, et composée de magnifiques tableaux, des plaines enneigées du Dakota aux déserts brulants du Mexique. Malgré cette temporalité, le sentiment d’urgence est là, présent, et l’incertitude quant au sort de Liza Jane investit progressivement le lecteur dans la quête de Morgan, qui mêle la détermination d’un Bryan Mills à la rugosité pleine d’amertume et de rhumatismes d’un Rooster Cogburn.

Il aurait été peut-être plus haletant de maintenir un flou plus important et un doute plus ambigu vis à vis du Ghost Kid éponyme, dont on ne doute finalement pas longtemps de l’existence réelle. Cela n’enlève rien à la qualité de la relation que met en place Tiburce Oger tout au long de l’album.

Son dessin est saisissant tant sur les plans larges, aux cadrages impeccables, que sur les cases plus intimistes, magnifiées par l’aquarelle. Les amateurs de western trouveront assurément dans Ghost Kid tous les ingrédients d’une bonne histoire !

****·BD·Mercredi BD·Rétro

L’odeur des garçons affamés

BD du mercredi
BD de Loo Hui Phang et Frederik Peeters
Casterman (2016), 104p. couleur, one-shot.

couv_275111J’entends parler de Frederik Peeters depuis quelques années mais n’avais jamais ouvert un de ses albums pour plusieurs raisons: d’abord l’homonymie avec l’autre Peeters (oui, j’en suis désolé mais il m’arrive de confondre des auteurs), ensuite des couvertures moyennement attirantes (L‘homme gribouillé pas du tout, celle-ci moyennement mais assez basiquement western). Mal m’en a pris puisque en découvrant son rêve métaphysique Saccage j’ai été éberlué par son très grand talent technique allié à un univers très personnel…

Oscar Forrest est photographe et participe à une expédition dans le grand Ouest, en compagnie d’un géologue fort en gueule et un garçon de ferme chargé de l’entretien du matériel. Le trio cohabite dans d’étranges relations entre méfiance et attirance. Autour d’eux les éléments à la puissance incommensurable, une nature belle et redoutable, mais aussi d’étranges rôdeurs. A mesure que chacun voit révéler les raisons de leur participation à ce voyage initiatique, les faux-semblants tombent…

Alors que le monde de la BD (re)découvrait le talentueux Meyer et son Undertaker érigé en héritier directe du Blueberry de maître Giraud, on en oubliait (moi le premier) combien ces garçons affamés se rapprochaient bien plus de l’univers ésotérique et un peu New Age prôné par l’auteur d’Arzach et son comparse Jodorowsky. Il y a clairement ces deux filiations dans cet album à l’atmosphère unique, faite de silences, de regards et de rêves. Ce dandy urbain transposé dans l’Ouest sauvage dénote et l’on sait rapidement qu’il fuit quelque chose. L’attitude des trois hommes est étrange dès les premières pages, comme des incarnations des trois ages de la vie, trois ages où l’appétit sexuel varie. Il est question d’homosexualité bien sur dans cette histoire, toute en pudeur, mais plus globalement des conventions et des normes. Je remarque souvent l’écriture des scénaristes femmes, assez différente de celle des hommes de par leurs thèmes et leur traitement. C’est le cas ici où Loo Hui Phang installe ses trois personnages comme se courant après, dans une hiérarchie rappelée par le chef Stingley qui a pourtant la curieuse manie de se promener fesses à l’air… Ses deux acolytes rejettent ces normes pourtant, celles qui font de Milton une sorte d’esclave et celles qui empêchent Oscar d’expérimenter librement son art photographique. Il est question de l’image aussi, celle de la BD, des grands espaces, des cadrages improvisés et renvoyant sans cesse à l’objectif du photographe, aux images mentales enfin, lorsque le monde intérieur, des rêves, des pensées, pénètre celui des vivants.

Très vite un petit mystère est présenté au travers de ces deux chasseurs, le pistolero défiguré et l’indien shaman. Que veulent-ils? L’un incarne sans doute la civilisation qui rechigne à laisser partir les deux jeunes gens, l’autre la liberté émancipée des corps… Comme dans tout récit initiatique, ésotérique, L’odeur des garçons affamés laisse son lecteur errer sur des images et des sons sans toujours véritablement comprendre ce qu’il voit. Et c’est agréable aussi de ne pas toujours chercher de sens lorsque le dessinateur laisse divaguer son imagination, comme Peeters l’explique dans ses motivations sur Saccage.

Résultat de recherche d'images pour "l'odeur des garçons affamés"Visuellement on a les couleurs de l’ouest, assez tranchées, dans les orangés et les verts tendres. Le trait du dessinateur est très élégant, très maîtrisé, à la fois encré et hachuré, permettant des lignes fines remplies d’ombres colorisées. Essentiellement constitué de plans rapprochés, des visages de ses personnages, l’album se savoure avec gourmandise. Un auteur que l’on sent capable de tout dessiner avec facilité…

L’odeur des garçons affamés est un magnifique one-shot sans autre lacune que l’aspect inexpliqué inhérent à ce type d’histoire. Mais l’on aime voir l’amour naître entre ces deux insolents et la magie shamanique prendre corps dans ce monde où la Nature semble permettre un retour à l’essentiel. Une belle histoire faite de beaux dessins répondant à une belle écriture. Une odyssée à lire assurément pour s’évader en compagnie de deux amants libres.

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