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Soloist in a cage #2/3

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BD de Shiro Moriya
Ki-oon (2023) – 2018, 208p./volume, 2/3 tomes parus.

 image-5Merci aux éditions Ki-oon pour leur confiance.

Avec une première série qui aura vu ses trois volumes parus la même année (le dernier est annoncé pour octobre), l’éditeur Ki-oon propose un format court qui sait assumer les possibilités et les limites de la brièveté. Avec une intrigue très concise basée sur une simple évasion, la maitrise narrative est remarquable puisque si le premier se concentrait sur le prologue et le retour de l’héroïne, la césure d’une dizaine d’années permet une multitude de potentialités concernant le destin du petit frère recherché. Fort différent du précédent, ce tome nous présente une fratrie travaillant sur un mystérieux projets tout en veillant sur leur père très malade. On comprend rapidement qu’ils œuvrent pour une sorte d’Eglise dont les Inquisiteurs sont de redoutables combattants qui s’entraînent sur les terribles robots-gardiens.

Le long passage un peu mièvre avec les frangins inquiète sur l’orientation de la série mais construit aussi un très intéressant faux-semblant lorsqu’on se met à la place de Chloé qui se demande à chaque jeune garçon rencontré s’il est possible qu’il s’agisse de son frère perdu nourrisson… Torturée par les visions d’une sorte de démon qui la ramène à sa condition de surin, la jeune femme se rattache à cette humanité qui surprend dans le chaos de la cité-prison. La simplicité de l’objectif n’autorise cependant pas de trop grandes digressions et nous voilà vite ramenés à des scènes de combats où l’autrice brille par sa mise en scène.

Doté de dessins et d’une atmosphère tout à fait fascinants, Soloist in a cage frustre principalement par la brièveté du format qui interdit de développer sérieusement les antagonistes ou les organisations. Avec ces limites, la trilogie réussit pratiquement tout ce qu’elle présente dans une édition toujours élégante.

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Soloist in a cage #1/3

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BD de Shiro Moriya
Ki-oon (2023) – 2018, 208p./volume, 1/3 tomes parus.

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image-5Merci aux éditions Ki-oon pour leur confiance.

La Cité-prison est le monde du crime, une société fermée par des murs infranchissables où a été isolée toute la lie de l’humanité. Mais comme dans toute société des couples se forment, des enfants naissent… Chloé et son jeune frère Locke se retrouvent seuls à survivre dans un appartement de la Cité-prison. Lorsque un groupe de prisonniers décide de tenter une évasion Chloé les suit. Malheureusement son frère chute dans l’opération. Passée de l’autre côté, elle décide de tout faire pour aller récupérer son frère…

Nouvelle création d’une jeune autrice chez Ki-oon, qui reprend le schéma bien connu de la cité-prison (New-York 1997,…) pour nous parler de cette jeune fille au tempérament bien trempé qui se forme auprès des meilleurs combattants pour se plonger dans la fange pour réaliser l’improbable. En effet, lors de l’incident initial le lecteur n’a aucune information sur l’éventuelle survie de ce nourrisson tombé d’une hauteur vertigineuse en pleine tempête de neige du siècle. Pourtant… C’est sur un pitch très simple que l’autrice condense son récit en se basant sur une atmosphère très solide portée par des décors fort réussis. Sur des séries courtes il vaut mieux aller à l’essentiel sans complexifier outre mesure et Shiro Moriya ne se perd pas en chemin, s’appuyant sur sa compétence graphique pour dresser une ambiance nocturne de coupe-gorge où la jeune Chloé est devenue une combattante hors-paire. En posant dès le départ une galerie de personnages réussie et en rompant sa chronologie très vite, l’autrice nous tient en haleine avec l’envie de savoir si les alliés de circonstance de la jeune fille reviendront l’aider. De même le background nous titille puisque ce qui est décrit (et présenté) à l’image comme une société d’assassins renferme manifestement aussi des innocents ou du moins des condamnés de droit commun comme ce militaire au passé trouble qui opèrera comme mentor de Chloé.Le manga Soloist in a Cage annoncé par Ki-oon, 03 Octobre 2022 - Manga news

Avec un démarrage prenant en tout point et sans temps mort, le premier volume ralentit ensuite pour poser  le retour de Chloé dans la prison et son enquête pour retrouver son frère. Les combats et séquences d’action sont très efficaces, les visages un peu moins précis que les décors font néanmoins le job et on a hâte de connaître la suite pour cette entrée en matière pas révolutionnaire mais très solidement bâtie.

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****·East & West·Nouveau !

Decorum #2/2

East and west

Comic de Jonathan Hickman et Mike Huddleston
Urban (2021) – Image (2020), 184 p., 2/2 volumes parus.

L’édition française du diptyque Decorum a étrangement choisi le visuel original et variant du sixième épisode, loin d’être le plus élégant des incroyables graphismes créés par Mike Huddleston pour cette série. L’effort a néanmoins été fait de proposer une tranche créative qui rassemble deux moitiés du titre une fois les volumes rassemblés dans l’étagère. Aucun bonus en revanche, pas même la traditionnelle galerie de couvertures des issues et des variantes. Etant donné le phénoménal travail graphique auquel nous a habitué Jonathan Hickman sur ses œuvres ce n’est pas très problématique mais on peut tout de même s’en étonner.

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Decorum est une série en deux parties du scénariste Jonathan Hickman. Decorum s’inspire des univers de Philippe Druillet. Decorum est un concept-album qui propose à son dessinateur de réinventer la narration en s’extrayant de tout cadre séquentiel… Arrivé à ce stade certains auront pris leurs jambes à leur cou, d’autres seront en extase christique. Mais c’est à vous petits scarabées, vous qui aimez les beaux graphismes, les thématiques science-fiction et les mondes étranges mais recherchez de la BD sans être bardé de références, c’est à vous que cette chronique s’adresse…

Decorum -2- Tome 2Dans le premier billet j’avais expliqué les qualités et les difficultés que pouvaient renfermer cette série. A la fois moins BD dans ses séquences et moins fumette dans ses planches métaphysiques ce second (et dernier?) tome narre la formation assez pathétique de notre héroïne Neha comme assassin, au fil de séquences humoristiques au schéma répétitif mais très sympathiques. Si l’humour n’était pas absent du premier tome, celui-ci vire presque à la parodie, via le décalage entre la jeune pacifiste Neha et son univers de tueuses intergalactiques ou le verbe fleuri de la boss de l’organisation. L’intrigue est elle franchement basique et paraîtrait même feignante s’il n’y avait cette incroyable liberté narrative qui nous place dans l’atelier de Huddleston en roue libre pour raconter une histoire via de simples tableaux numériques. Alliant croquis très frustes, peintures sidérantes de beauté et d’expressionnisme SF, cartoon voir strip par moment, on se retrouve dans un maelstrom graphique toujours pertinent, toujours lisible et toujours orienté vers son objet de création d’un monde futuriste ultra lointain. Paru juste avant le ReV d’Edouard Cour, ce second Decorum est graphiquement plus facile, scénaristiquement plus construit, mais moins riche graphiquement.

Decorum #7 | Image ComicsQuestion histoire fort heureusement les pages de données-design typiques chez Hickman participent principalement au décorum justement (attention,  c’est un élément essentiel du projet d’ensemble) et leur hermétisme ne troublera pas trop la lecture, d’autant que les planches sont, elles, toujours lisibles. Ce qui impressionne c’est qu’avec de tels raccourcis scénaristiques, de tels deus ex machina et de telles énormités la plupart des BD seraient tombées dans le médiocre. Pourtant avec son personnage éminemment sympathique, sa narration intégrée au dessin-design lui-même, son enjeu méta-galactique et ses idées sous-jacentes, Decorum nous emporte loin, très loin, en lâcher-prise, sautant sans transition d’une bataille spatiale à une enquête à la Blade-Runner et l’impression d’avoir assisté à un manuel de déconstruction de la BD. Fascinant.

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Un assassin à New-York

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Manga de Jinpachi Mori et Jiro Taniguchi
Pika (2021) – (1995), 209p., one-shot.

bsic journalismMerci aux éditions Pika pour leur confiance!

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Benkei est un peintre japonais installé à New-york. Il est aussi « vengeur », un assassin qui élimine les personnes coupables d’atrocités. Expert dans son art, il n’en a pas moins une vie personnelle qu’il tente de protéger des dangers de la pègre autour de laquelle il gravite…

Un assassin à New York, manga chez Pika de Môri, TaniguchiQuelle surprise de voir Pika graphic (le label one-shot d’auteurs des éditions Pika) annoncer un Taniguchi sur un polar des années quatre-vingt-dix! Pour ceux qui ne connaissent pas, Jiro Taniguchi est un des mangaka les plus célèbres en France, édité chez Casterman dès la première vague des manga en France en même temps qu’Akira, Dragonball et Tonkam. C’est pourtant dans les années deux-mille qu’il atteint la notoriété littéraire avec Quartier lointain et le Sommet des dieux (tout juste adapté en film d’animation par des… français) qui parviennent à intéresser la presse classique à des manga qui correspondent aux codes de la BD « sérieuse » et à faire admettre tout le genre comme de la BD à part entière. Cela car après des mangas tout à fait dans les codes, l’auteur francophile (alors peu populaire chez lui) migre vers un style épuré, contemplatif et très proche de la BD franco-belge, si bien que la plupart de ses œuvres sont éditées en France dans le sens de lecture européen sans que cela ne pose de problème. L’auteur est malheureusement décédé à à l’aube de ses soixante-dix ans en 2017.

Benkei in New York 6 Page 15 - a hard boiled story by Taniguchi | New york,  York, CartoonOn retrouve ainsi dans cet assassin à NY une patte tout à fait 90’s, un style graphique très précis notamment dans les décors et les séquences d’actions redoutables d’efficacité et qui démontrent combien Taniguchi était un grand technicien. La distorsion entre la bonhommie non feinte du tueur et son efficacité imparable fonctionne parfaitement. On entre progressivement dans son intimité, sautant d’affaire en affaire. C’est là le principal problème de ce très bel album, sa narration entrecoupée qui malgré un réel fil rouge, nous donne le sentiment d’assister à des séquences isolées. Il manque un certain liant entre ces histoires qui voient le héros tenter de protéger sa compagne gogo danseuse et prostituée à ses heures et naviguer entre sa peinture et ses assassinats. On ne voit pas bien où le scénariste veut en venir, dans une atmosphère toute orientale sans vraiment de linéarité.

Au final cet ouvrage vaut pour son caractère patrimonial et rate le statut d’incontournable que l’on aurait attendu au regard de son sujet (on aime toujours ces portraits de tueurs solitaires redresseurs de torts!). Les amoureux de Taniguchi y trouveront leur compte et les dévoreurs de manga une pause originale dans le monde des tueurs nocturnes.

Retrouvez aussi l’avis de l’apprenti Otaku.

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Decorum #1

East and west

Comic de Jonathan Hickman et Mike Huddleston
Urban (2021) – Image (2020), 184 p., 1/2 volumes parus.

Decorum fait partie des premiers albums à être lancés dans une nouvelle collection au format BD destinée à briser les lignes entre public Comics et public Franco-belge (démarche que je ne peux que saluer!). Il s’agit donc d’un format plus grand, habillé d’un vernis sélectif en couverture et d’une tranche dont le 1/2 titre doit se rejoindre avec le tome deux. Toujours sympa ce type de design dans la bibliothèque! Si l’ouvrage ne comprend pas à proprement parler de cahier bonus, le projet lui-même entrecroise planches de BD, pages de design pure, diagrammes, plans et textes d’accompagnement. Le design général, partie intégrante du projet, est très classe et rejoint les récents projets de Hickman qui semble féru de ce genre de compositions.

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Jonathan Hickman est un scénariste pointu qui propose des concepts aussi brillants que difficilement accessibles. De Secret Wars à HoX/PoX (chronique demain) en passant par son chef d’œuvre Black Monday Murders, on peut dire que l’américain aime plonger son lecteur dans un océan de sidération qu’il aide très homéopathiquement à surmonter! Le point commun de ces créations c’est l’absence de linéarité ou plutôt l’explosion de tout cadre permettant de se poser des balises de compréhensions, que ce soit temporelles ou dans les concepts historiques ou scientifiques. Attention, je ne suis pas en train de dire que Hickman est inintelligible, simplement qu’il assume un certain élitisme intellectuel qui pourra soit fermer violemment la porte à certains lecteurs, soit fasciner les plus tenaces et amoureux de la sophistication.

DECORUM #1-6 (Jonathan Hickman / Mike Huddleston) - Image Comics - SanctuaryDecorum arrive à point nommé dans cette biblio en proposant au dessinateur virtuose Mike Huddleston un open-bar graphique avec pour mission de transposer sur papier un univers futuriste extrêmement lointain où les concepts d’humain, de dieu et de réalité n’ont plus de raison d’être. Dans sa promotion de ce diptyque tout récent (la publication s’est achevée au printemps 2020 aux Etats-Unis) l’éditeur annonce une référence à l’Incal. Autant la série de Jodo et Moebius a toujours été totalement hermétique pour moi, autant j’ai réussi à me laisser porter par la féerie visuelle très évocatrice de Decorum. Après une entrée en matière plutôt didactique et intelligible, on alterne entre des séquences suivant une jeune coursière chargée d’un transport hautement délicat qui va se retrouver à faire équipe avec la plus redoutable tueuse de la galaxie… et un conflit galactique, cosmogonique entre l’Eglise de la singularité, sorte d’IA ayant atteint un statut divin, et les mères célestes, groupe très obscure et pourchassé à travers le temps et l’espace… Sur ces séquences aux planches aussi belles que difficiles à comprendre, toute la narration devient graphique via une alternance de techniques aussi variées que poétiques. On pense  dans ces moments à l’œuvre de Druillet et son successeur qui parvenait l’an dernier à allier maestria hyper-graphique et space-opéra grandiose mais intelligible. Sur le plan graphique Decorum ressemble ainsi à un concept-album voir à un art-book tant le support du récit est essentiellement visuel ou juxtaposé, faisant parfois s’interroger sur la qualité de « récit séquentiel » de l’objet…

All of Decorum is a Group Effort": Mike Huddleston on the Style and Art of  Decorum - SKTCHDL’album bascule de façon assez équilibrée entre l’histoire des deux filles suivant une trame classique dans la SF, les nombreux documents iconographiques et textuels que Hickman insère sur le même modèle que ses précédentes séries (et qui vont soit achever de vous paumer soit vous aider à vous accrocher) et la poursuite inter-dimensionnelle des deux organisations occultes. A la conclusion de cette première partie, si la première ligne progresse raisonnablement, le background et la problématique galactique reste très brumeux. Encore une fois on n’est pas perdu pour autant, les séquences « humaines » proposant une technique graphique fort agréable, très lisibles et agrémentées de scènes d’action tout ce qu’il y a de plus savoureuses. Si l’on ne prenait que cette tranche on pourrait la résumer à une affaire maffieuse à la Tarantino avec une jeune fille balancée au mauvais endroit au mauvais moment. Que va faire la tueuse de cette créature bien gênante?

A cheval entre le récit mystique jodorowskyen et la chevauchée badass de deux space-girls, le premier volume de Decorum nous laisse dans l’expectative d’un liant qui permettra de donner du sens à tout ceci. Ébahi par une beauté graphique certaine, on attend de voir si l’expérimenté Jonathan Hickman s’est oublié dans les délires de son comparse ou s’il compte au dernier moment nous confier les clés d’un univers fascinant…

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