*****·BD·Documentaire·Nouveau !

Break, une histoire du Hip-Hop

Le Docu du Week-End
BD de Florian Ledoux et Cedric Liano
Steinkis (2019), 126 p., volume 1/2 paru.

bsic journalismMerci aux éditions Steinkis pour cette découverte.

couv_369031Steinkis fait partie des éditeurs qui publient peu mais bien, avec un vrai boulot sur l’objet livre. Mes critiques des albums de cet éditeurs sont généralement en rubrique BD Docu, ce qui explique le contenu additionnel qui permet de prolonger le thème traité par la BD. On en apprend beaucoup sur un sujet finalement peu connu hormis la musique Hip-Hop en elle-même. L’ouvrage contient en fin d’album un épais lexique détaillé sur des personnes, évènements ou termes « techniques » de la culture Hip-Hop ainsi qu’une biblio-musicographie. Comme d’habitude chez l’éditeur, ce travail très complet fait beaucoup pour la qualité globale de l’album. La couverture est, enfin, très réussie, à la fois attirante visuellement, fidèle à l’esprit de l’album et imaginative avec ce disque Vinyle évoqué. L’album a été réalisé à quatre mains scénario/dessins.

A la fin des années soixante, le Bronx est un ghetto de noirs pauvres au nord de Manhattan. On sait que c’est dans cette ville new-yorkaise que naissent le Rap et le Hip-Hop. Au travers de la jeunesse de deux jeunes frères, Marcus et Aaron qui se créent une identité et une appartenance l’un avec le Break-dance l’autre avec le Graf, c’est la genèse d’un des mouvements culturels les plus puissants du XX° siècle qui nous est proposé de découvrir.

Résultat de recherche d'images pour "break histoire hip-hop liano"Toutes les époques de l’histoire américaine ne sont pas également intéressantes. A l’heure d’un revival 80’s on constate le plus souvent que cette décennie est l’aboutissement des dix années précédentes où ce pays, des campus élitistes universitaires aux ghettos noirs, sort de ses fondements violents et racistes pour voir naître de véritables cultures modernes, urbaines. Si les noirs du sud avaient le blues qui leur permettait de vivre leur identité de peuple au travers bien souvent de la religion, les jeunes désœuvrés des villes étaient loin de ces anciens et la plupart du temps vivaient dans un monde de violence, de crimes, de délinquance. C’est le cas des deux héros de ce superbe album très inspiré de Florian Ledoux et Cedric Liano pour l’une de leurs premières publications BD, d’une maturité graphique et thématique remarquables.

extrait 1.jpgFlorian Ledoux est graffeur et spécialiste de la culture Hip-Hop. Sa très bonne connaissance de ce mouvement lui permet de dresser une description progressive, historique, de la naissance de ce que l’on connaît par des artistes mais sans avoir conscience du puzzle général. L’itinéraire à la première personne de ses deux frères va nous immerger au cœur de ce bouillonnement très localisé où l’on comprend qu’un contexte général (le racisme, l’incurie des autorités municipales et policières) voit naître quelque chose de gigantesque qui au départ n’était que la volonté de jeunes noirs de s’en sortir hors du crime en revendiquant une fierté raciale et communautaire. C’est cela la culture, une appartenance. On retrouve un peu des éléments qui faisaient la réussite du précédent ouvrage de l’éditeur, Redbone. Ainsi l’aîné va commencer comme membre d’un des gang noir qui faisaient la loi et la structuration (par l’entraide autant que le trafic) du Bronx dans les années soixante-dix en remplaçant une municipalité totalement absente. On effleure le mouvement musical des clubs disco qui touche toutes les villes et où les noirs avec leur technique de Break-dance éprouvée dans les soirées DJ sauvages des rues vont être utilisés comme danseurs et comprendre qu’ils peuvent gagner de l’argent hors des gangs. Cette évolution est passionnante car l’on suit parfaitement cet itinéraire d’un jeune homme fier hors d’un mouvement ce revendication raciale mais qui en est conscient. Comme souvent dans les Ghettos c’est l’obligation de se construire sa propre organisation, sa propre culture qui va créer quelque chose.

Break-plancheLa présence du lexique conséquent en fin d’album permet d’éviter un scénario trop explicatif et les auteurs peuvent ainsi utiliser ce background pour réaliser une bonne histoire de famille. Car les deux personnages et leur mère (jeune femme qui galère dans des petits boulots en essayant de protéger ses fils de la misère et du crime) sont attachants. Notamment la relation des deux frères, l’aîné protégeant le petit tout en Résultat de recherche d'images pour "cedric liano break steinkis"l’introduisant dans ce bouillonnement de fêtes en bordure de la légalité. Aaron deviendra graffeur, activité identitaire par excellence, avec ses règles, sa fierté affichée: lorsqu’il explique la portée d’un Whole train (le fait de graffer toute une rame de métro) qui va voir son nom de graffeur parcourir tout New-York jusqu’à Wall Street et les quartiers blancs riches on comprend l’importance du Hip-Hop comme marqueur d’existence d’une minorité ignorée. On évoque également James Brown par son apport de fierté majeur, la tentative de la Nation of Islam d’utiliser le mouvement mais aussi le rôle des premiers DJ jamaïcains pour lancer ces Sound-systems de rue…

La partie graphique de Break est surprenante de maturité, notamment dans la colorisation et le découpage. Les deux auteurs utilisent un concept très efficace: l’album est en monochrome gris (très élégant) et voit apparaître des éléments de couleur chaque fois que le Hip-Hop apparaît. Ce peut être un danseur, un DJ, de la musique, un graff. C’est d’abord très beau visuellement et permet d’ajouter un sous-texte aux planches. De même les quelques scènes de danse (que les auteurs ont l’intelligence de ne pas surmultiplier) prennent l’aspect de combats à la mode manga, avec des déformations qui permettent de comprendre le mouvement, la vitesse. extrait 3.jpgEnfin le découpage varié et dynamique rend la lecture extrêmement agréable, esthétique, visuelle. D’excellents dessinateurs que je ne connaissais pas et qu’il faudra suivre assurément, notamment via la participation de Cedric Liano à la revue XXI.

Il ressort de ce gros volume qui se lit d’une traite un sentiment de plénitude que l’on ne trouve pas si souvent dans une BD à l’aspect documentaire, le fait de parvenir tout à la fois à un bel album BD en tant que tel tout en apprenant énormément sur cette culture et l’envie de prolonger notre documentation. Pour ceux qui ont aimé le film Spiderman into the spiderverse avec son influence Hip-Hop je conseille vivement cet album qui permet à un public pas nécessairement fana de musique de découvrir un univers et de comprendre un peu mieux des éléments majeurs du cinéma et de la culture américaine.

note-calvin1note-calvin1note-calvin1note-calvin1note-calvin1

Achetez-le chez njziphxv

***·BD·Mercredi BD·Nouveau !·Numérique·Service Presse

La guerre des autres, rumeurs sur Beyrouth

BD du mercredi
BD Bernard Boulad et Gaël Henry
Boite à bulle (2018), 166 p. one-shot.

L’ouvrage est introduit par une page synthétique sur les événements qui ont amené à la guerre du Liban. Très bien expliquée, elle aide à s’immerger dans les événements de contextes entourant cet album. L’ouvrage lui-même est découpé en deux parties (avant le déclenchement de la guerre et les conséquences du début des hostilités). En fin d’album l’auteur détaille le côté autobiographique, accompagné par des photos personnelles et enfin d’une chronologie de l’histoire du Liban. Je suggère de lire cette post-face avant l’album, je pense que cela aide à appréhender la BD.

En 1974 la famille Boulad, chrétiens d’Egypte émigrés au Liban, mène une vie paisible à Beyrouth, entre la librairie du père et le théâtre de la mère. Cette douce vie voit pourtant la montée des tensions confessionnelles dans un pays qui n’est pas le leur. Quand un an plus tard la poudrière s’enflamme, leur vie bascule.

Résultat de recherche d'images pour "la guerre des autres henry"J’avais beaucoup aimé le précédent album de Gaël Henry, Jacques Damour, où j’avais noté sa maîtrise du découpage, du mouvement et de l’expressivité, à la manière d’un Blain. Le style de l’auteur va vers des encrages forts sur des dessins au trait léger, parfois gribouillés, bref, rapides. C’est un genre graphique… et l’on décèle sur les cases un peu techniques (bâtiments, perspectives, véhicules,…) que le dessinateur sait produire des planches précises. Néanmoins, si sur Jacques Damour la colorisation et la dynamique générale m’avaient fait oublié des dessins parfois approximatifs, sur La guerre des autres j’ai été déçu par des couleurs que j’ai trouvé ternes et un scénario posé qui jour sur les ambiances plus que sur le mouvement, ce qui n’est pas forcément le point fort de Gaël Henry. Ce style graphique est vraiment étrange car il peut produire avec le même type de traits parfois vraiment minimalistes, de magnifiques séquences comme sur Une Sœur de Vivès ou d’autres mal finies… Difficile équilibre.

L’histoire m’avait attiré car elle portait sur une histoire récente, politique, d’une région du monde hautement complexe. Le Moyen-Orient, la Palestine, la cohabitation des communautés. Sujets passionnants. Le traitement choisi est autobiographique, la jeunesse du scénariste, une tranche de vie, des atmosphères, celles des années 70 dans un Moyen-Orient moderne, entre Occident et Orient, avant les guerres généralisées, avant l’islamisme, une époque où les Non-alignés créaient des espaces de liberté qui nous semblent bien loin quand on pense aux pays méditerranéens. Résultat de recherche d'images pour "la guerre des autres henry"On a un petit côté Tran Anh Hung dans ces ambiances lascives, oisives, où la question financière semble vaguement secondaire. La sœur tombe amoureuse de tout ce qui bouge en tentant de bosser son bac, le grand frère redoute le service militaire et la mère tente de reprendre son indépendance… Cette histoire familiale est indéniablement intéressante et les textes nous entraînent avec en toile de fonds le contexte politique, les réfugiés de OLP qui créent des tensions avec les milices chrétiennes dans un pays organisé confessionnellement. En tant qu’autobiographie, la ligne scénaristique est contrainte et comme l’on reste globalement à l’intérieur de cette famille de ses murs, l’aspect historique reste assez secondaire, l’album se raccrochant plutôt à une certaine mode nostalgique dans pas mal de récits, comme sur les Beaux étés de Zidrou par exemple. Ce côté n’est pas ce qui me passionne le plus et j’aurais aimé voir le côté « incidence de la grande Histoire sur la petite histoire » plus présent.

Pour peu que l’on aime le style graphique et ces ambiances rétro à base de libération sexuelle, de rouflaquettes et de chemises à fleurs, La guerre des autres vous fera passer un beau moment au bord de la Méditerranée.

note-calvin1note-calvin1note-calvin1

Achetez-lebadge-cml

***·BD·Documentaire

La petite bdthèque des savoirs #7

Le Docu du Week-End
Le nouvel Hollywood
BD de Jean-Baptiste Thoret et Brüno
Le Lombard (2016), 98 p., La petite bdthèque des savoirs #7

couv_279621Dans mes prospections sur la BD documentaire j’avais repéré cette collection encyclopédique format BD au Lombard. Du coup je commence la collection par le volume 7 dessiné par Brüno, sur le Nouvel Hollywood.

La collection Bdthèque des savoirs a commencé en 2016 et sort quatre numéros par trimestre, en associant un spécialiste reconnu d’un sujet et un illustrateur de BD, avec pour ambition de ne pas se limiter sur les sujets. Des illustrateurs comme Brüno, Alfred, Guerineau ou Marion Montaigne ont déjà publié dans cette collection qui leur permet de sortir de la rigueur des cases de BD pour illustrer une thématique.

Résultat de recherche d'images pour "le nouvel hollywood brüno"Le numéro sur le Nouvel Hollywood est écrit par Jean-Baptiste Thoret, spécialiste du cinéma américain tendance « Inrockuptible ». Sa connaissance semble sans fin tant l’album raconte dans les plus grands détails cette période passionnante de Hollywood, entre la fin du classicisme et l’émergence de la Réaction reaganienne à l’arrivée des années 80. On y parle de films connus: Easy Rider, considéré comme le film qui lança cette tendance des golden-boys d’Hollywood souhaitant importer la Nouvelle vague française dans l’industrie des studios américains. Les Copolla, Scorsese, Friedkin, Peckinpah, Terrence Malick,… bref, ceux qui sont considérés aujourd’hui comme les monstres sacrés du cinéma américain mais qui ont connu pour la plupart des heures bien difficiles après cette poignée d’années de succès et de révolution culturelle.

Résultat de recherche d'images pour "le nouvel hollywood brüno"L’intérêt de ce récit est qu’il nous montre en quoi le cinéma a transposé des évolutions sociétales américaines sur les écrans, en concomitance avec le mouvement des droits civiques et le Flower Power. Ces réalisateurs ont été ensuite rejetés car ils ont cherché à briser le vernis du mythe américain en narrant les histoires de ratés, de déviants, celles du vrai peuple et non seulement des seigneurs et importants. Certains films ont été censurés et certains réalisateurs du Nouvel Hollywood ont totalement disparu par la suite. On découvre alors que pour Thoret celui qui a mis fin (malgré lui) à cet espoir c’est Georges Lucas (qui a pourtant imaginé sa production galactique hors des studios et donc bien dans l’esprit du Nouvel Hollywood): en produisant un succès mondial via une histoire archétypale, mythologique et manichéenne, en inventant le merchandising et la promo TV, il a remis toutes les clés dans les mains des producteurs…

Image associéeLa mise en image de Brüno est efficace et s’appuie sur l’imagerie contrastée des affiches des films des années 70-80. Je ne suis pas fan de son trait en général mais il faut reconnaître qu’ici ses planches sont très évocatrices. Sa documentation sur les photos et promo des films de l’époque est très importante et vaut pour l’aspect documentaire. Contrairement à des albums d’enquête ou de reportage (type Davodeau), je suis néanmoins dubitatif sur ce qu’apporte le dessin dans des bouquins de ce type. Une iconographie classique dans un livre encyclopédique aurait proposé des affiches et photos de films. Ici ces dernières sont désignées par la pattes de l’illustrateur mais a moins d’être fan de l’auteur cela ne donne pas franchement de valeur ajoutée. Il faudrait voir sur d’autres numéros de la Bdthèque des savoirs si la remarque vaut toujours…

Le projet est néanmoins très intéressant pour qui aime le dessin et la BD et personnellement je soutiens toujours les démarches qui aident à élargir le public BD via des ouvrages de ce type. Je conseille en outre vivement le bouquin à tout amateur de cinéma et d’histoire du cinéma, tant on y apprend de choses dans un récit parfaitement équilibré.

note-calvin1note-calvin1note-calvin1

Achetez-le badge-cml

Résultat de recherche d'images pour "bonnie and clyde affiches"Résultat de recherche d'images pour "french connection affiches"

Image associée