BD de Xavier Dorison et Felix Delep
Casterman (2022), 60p., gazettes 7, 8, 9, 10 correspondant au troisième tome « La nuit des Justes ».
Après la mise à mort du cruel n°1 par Silvio lui-même suivi des animaux, la lutte non-violente promue par Miss B et le sage Azelar a du plomb dans l’aile. Tiraillée entre sa fatigue morale, l’impatience de ses enfants et le bien lointain objectif de démocratie, Miss B semble prête à jeter l’éponge…
Cela fait maintenant presque quatre ans que le talent du jeune Felix Delep a éclaté au monde de la BD dans cette magistrale adaptation libre du chef d’œuvre d’Orwell, La ferme des Animaux. Quatre ans que ce blog suit fidèlement la parution périodique en gazettes format A3 de l’une des séries les plus enthousiasmantes de la BD franco-belge, dirigée d’une main de maître par le rarement mauvais Xavier Dorison. Alors que le troisième album (sur 4) paraît aujourd’hui, il est temps de reprendre ce qui fait briller si haut ce Château des animaux.
En reprenant le terreau d’Orwell mais en changeant son habillage (les personnages, lieu, déroulement), Xavier Dorison réinterprète les fondements de la lutte non-violente pour faire choir les despotismes. Avec son propos résolument politique, cette série est plus que jamais d’actualité et fait office de manuel de désobéissance et de réveil démocratique alors que notre société s’habitue à voir disparaître lambeau après lambeau toute la sève d’une démocratie.
Avec une maîtrise de la progression scénaristique attendue, Dorison joue le chaud et le froid en rappelant la faiblesse des individus devant la menace, la force du collectif et les colosses aux pieds d’argile que sont la plupart des régimes dictatoriaux, menés principalement grâce à l’individualisme et au manque de courage des citoyens. Ainsi chaque fois que le dictateur, fort malin, contourne l’obstacle de la résistance non-violente il faut un nouvel argument du mentor Azelar pour redynamiser les troupes et rappeler que c’est en s’attaquant aux symboles que l’on élimine la tyrannie. Alors que les deux premiers tomes construisaient la lutte à partir de drames mobilisateurs, le combat se théorise désormais sur la marguerite, symbole de liberté, sur le collier à grelot symbole de soumission, alors que le nouveau chien numéro 1 s’avère bien plus subtile dans la confrontation. Et en bon maître du fascisme il évite sciemment de créer un nouveau martyre en jouant sur les jalousies pour diviser le groupe rebelle. Formellement cela s’incarne dans les gazettes par des tags contestataires gribouillés sur le journal du Régime de Silvio. Si les textes de ces journaux ne proposent pas la même riche prolongation que celles du Château des étoiles, ils participent à l’ambiance de l’intrigue.
La complexité des doutes est encore une fois parfaitement mise en image par un Delep qui se laisse savourer en grand format et dont les expressions procurent une vraie émotion. Parvenant à naviguer entre facéties disneyennes de ses animaux et le vrai drame qui se joue, il nous subjugue par ses décors et colorisation auxquels on ne s’habitue décidément pas.
Encore une fois je ne saurais que vous inviter à lire cette série majeure en grand format, en album si ce n’est en gazette (vous pouvez trouver les anciens volumes en occasion à prix correcte sur Chasseauxlivres ou Vinted). Une fiction qui allie le plaisir pur de la BD avec un bon coup de flashball pour réveiller sa conscience démocratique. Une thématique qui se prolonge dès samedi avec la conclusion de la magnifique série coréenne Intraitable qui rejoint les problématiques du Château autour des conflits salariaux et des syndicats de la grande distribution.