
Récit complet en 144 pages, écrit par Apollo, dessiné par Brüno et mis en couleurs par Laurence Croix. Parution chez Dargaud le 06/05/22.

Le retour du Roi
Après des années passées à l’étranger, Hippolyte revient dans son pays natal, en proie à une grave crise. Son père, T’Zée, tyran cruel depuis des décennies, a été destitué par les rebelles, et il est présumé mort. Retranché à Gbado, dans l’extravagant palais construit par T’Zée au fond de la jungle, l’introverti et flegmatique Hippolyte pondère son avenir, alors que les rebelles se rapprochent pour en finir une bonne fois pour toutes avec l’héritage du despote.

Pendant ce temps, Bobbi, la jeune épouse de T’Zée, ne sait plus comment taire les sentiments qu’elle nourrit envers Hippolyte, alors même que le seul obstacle qui se dressait entre eux est désormais écarté. Durant toutes ces années, Bobbi s’est évertuée à jouer un rôle, celui de la marâtre insupportable, afin de parfaire sa mascarade. La jeune femme n’a donc que faire que les fondations du pays volent en éclats, ou que sa vie soit menacée par les rebelles. Tout ce qu’elle souhaite, c’est retrouver Hippolyte pour lui avouer enfin ce qu’elle ressent pour lui. Mais le destin permettra-t-il à un amour si coupable de s’épanouir ?
T’Zée s’inspire de la tragédie Phèdre de Jean Racine. Métamorphosant le contexte pour le resituer dans l’Afrique post-coloniale, l’auteur se joue du mythe pour mieux se le réapproprier. Car si la tragédie en tant que genre, suppose des personnages bernés par le destin et mis face à des choix impossibles qui précipitent leur chute, alors l’Afrique est bien une des grandes tragédies de l’Histoire contemporaine.
Si la Phèdre de Racine était dévorée par la jalousie et le ressentiment, Bobbi, elle, n’est finalement pas tant le jouet de ses pulsions que le produit d’une ère post-coloniale, qui a ouvert la voie à des guerres civiles, des administrations ad hoc, corrompues et impropres à diriger des pays laissés exsangues par l’Occident.

Dans cette nouvelle version, il est d’ailleurs difficile de savoir qui, de Bobbi ou Hippolyte, tient lieu de protagoniste, tant les deux sont ballottés par les événements et par cette crise politique et humaine qui rend incertain l’avenir du pays. Bobbi semble cependant tirer son épingle du jeu, en tenant les rênes de ce qu’il reste du régime de T’Zée, tandis qu’Hippolyte tient lieu de protagoniste beaucoup plus passif, car longtemps tenu à l’écart des affaires familiales par un père autoritaire qui le jugeait faible.
Au-délà de l’adaptation de la pièce de Racine, on voit donc bien que c’est le contexte africain qui tenait à cœur les auteurs, comme nous l’explique finalement la post-face du scénariste. La conjugaison de l’écriture d’Apollo et du dessin de Brüno fonctionne parfaitement, ce qui laisse transparaître dans chaque planche une ambiance crépusculaire et une amertume lancinante, qui mène cette tragédie moderne jusqu’à sa conclusion logique.