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T’Zée, une tragédie africaine

Récit complet en 144 pages, écrit par Apollo, dessiné par Brüno et mis en couleurs par Laurence Croix. Parution chez Dargaud le 06/05/22.

Le retour du Roi

Après des années passées à l’étranger, Hippolyte revient dans son pays natal, en proie à une grave crise. Son père, T’Zée, tyran cruel depuis des décennies, a été destitué par les rebelles, et il est présumé mort. Retranché à Gbado, dans l’extravagant palais construit par T’Zée au fond de la jungle, l’introverti et flegmatique Hippolyte pondère son avenir, alors que les rebelles se rapprochent pour en finir une bonne fois pour toutes avec l’héritage du despote.

Pendant ce temps, Bobbi, la jeune épouse de T’Zée, ne sait plus comment taire les sentiments qu’elle nourrit envers Hippolyte, alors même que le seul obstacle qui se dressait entre eux est désormais écarté. Durant toutes ces années, Bobbi s’est évertuée à jouer un rôle, celui de la marâtre insupportable, afin de parfaire sa mascarade. La jeune femme n’a donc que faire que les fondations du pays volent en éclats, ou que sa vie soit menacée par les rebelles. Tout ce qu’elle souhaite, c’est retrouver Hippolyte pour lui avouer enfin ce qu’elle ressent pour lui. Mais le destin permettra-t-il à un amour si coupable de s’épanouir ?

T’Zée s’inspire de la tragédie Phèdre de Jean Racine. Métamorphosant le contexte pour le resituer dans l’Afrique post-coloniale, l’auteur se joue du mythe pour mieux se le réapproprier. Car si la tragédie en tant que genre, suppose des personnages bernés par le destin et mis face à des choix impossibles qui précipitent leur chute, alors l’Afrique est bien une des grandes tragédies de l’Histoire contemporaine.

Si la Phèdre de Racine était dévorée par la jalousie et le ressentiment, Bobbi, elle, n’est finalement pas tant le jouet de ses pulsions que le produit d’une ère post-coloniale, qui a ouvert la voie à des guerres civiles, des administrations ad hoc, corrompues et impropres à diriger des pays laissés exsangues par l’Occident.

Dans cette nouvelle version, il est d’ailleurs difficile de savoir qui, de Bobbi ou Hippolyte, tient lieu de protagoniste, tant les deux sont ballottés par les événements et par cette crise politique et humaine qui rend incertain l’avenir du pays. Bobbi semble cependant tirer son épingle du jeu, en tenant les rênes de ce qu’il reste du régime de T’Zée, tandis qu’Hippolyte tient lieu de protagoniste beaucoup plus passif, car longtemps tenu à l’écart des affaires familiales par un père autoritaire qui le jugeait faible.

Au-délà de l’adaptation de la pièce de Racine, on voit donc bien que c’est le contexte africain qui tenait à cœur les auteurs, comme nous l’explique finalement la post-face du scénariste. La conjugaison de l’écriture d’Apollo et du dessin de Brüno fonctionne parfaitement, ce qui laisse transparaître dans chaque planche une ambiance crépusculaire et une amertume lancinante, qui mène cette tragédie moderne jusqu’à sa conclusion logique.

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L’ère des anges

La BD!
BD de Sylvain Runberg et Ma Yi
Delcourt (2023), 77p., one shot. Collection « Les futurs de Liu Cixin » #10.

couv_466775bsic journalismMerci aux éditions Delcourt pour leur fidélité.

Rescapé d’une terrible guerre civile dont le continent africain a le secret, le docteur Ita est aussi l’un des plus brillant scientifique de la planète. Prix nobel de chimie il semble l’exemple d’un modèle américain qui permet aux plus modestes de s’en sortir par l’effort et le talent. Pourtant il décide un jour de se consacrer entièrement à la résolution du problème majeur de la Terre: l’alimentation, au risque de rompre les digues éthiques érigées par la société occidentale. Prêt à tout et sur de son succès, son cas repose la question insoluble: le but, si nécessaire soit-il justifie t’il de s’exonérer de toute morale éthique? Et surtout, qui fixe cette morale?

Les Futurs de Liu Cixin tome 10 - L'Ere des anges - Bubble BD, Comics et  MangasParcourant la collection des Futurs de Liu Cixin par morceaux en sélectionnant (comme souvent) la qualité des dessins, j’entame avec cette ère des Anges (et second scénario de Sylvain Runberg sur la collection) ma quatrième lecture d’une collection qui a le grand mérite de proposer des hypothèses SF parfois très exotiques mais aussi de nous faire découvrir une vision asiatique très différente de notre mode de pensée. Avec les limites du format « nouvelle ». Et clairement ce nouvel album est le plus abouti et satisfaisant de la collection pour le moment.

Avec une technique très BD qui sait remarquablement couvrir les quelques faiblesses de dessin par une mise en scène et une colorisation très élégantes (rehaussées par quelques effets numériques discrets), le chinois Ma Yi nous présente une sorte d’hypothèse anticapitaliste au concept de Wakanda (dans le Black Panther de Marvel). Si on pourra reprocher sa gamme de visage assez réduite, créant parfois des gémellités involontaires, la variété des décors, certains gros-plans et le design général scientifique participent à nous immerger dans le scénario très solide de Sylvain Runberg.

On a pu tiquer sur certaines histoires de Liu Cixin très marquées par une mentalité chinoise centrée sur l’Empire et la dominance du collectif sur l’individu. Ici la finesse et la pertinence du propos sur la domination impérialiste des Etats-Unis y compris en matière de normes scientifiques sont remarquables et passionnantes. Les Futurs de Liu Cixin tome 10 - L'Ere des anges - Bubble BD, Comics et  MangasEn suivant l’itinéraire de ce survivant décidé à tout faire pour résoudre le problème de faim dans le monde on est plus dans un registre d’Anticipation décortiquant le fonctionnement mercantile de notre monde et le texte de Runberg parvient à éviter le piège des méchants cowboy ricains contre les gentils africains en piochant des éléments factuels du pilotage commercial de la diplomatie agressive des USA abordés par des dialogues non manichéens. Ainsi confronté à ses pairs du comité d’éthique de l’ONU, le génie biochimiste nobélisé se voit opposer de vraies questions sur la responsabilité du scientifique dans sa propre limitation. Il rétorque que ces belles valeurs n’ont jamais empêché les drames et famines. Très intelligent, le personnage d’Ita n’oublie pas l’apport financier majeur de ce système qui vend la science mais de par son histoire exige des résultats rapides. Et pour cette fois il sera difficile de voir là une option discutable du régime communiste mais plutôt de vrais questionnements universels que la SF a pour rôle d’aborder.

Doté de belles scènes d’actions, de dialogues très efficaces et de réflexions sur le fonctionnement de notre monde et de l’utilisation jusqu’au-boutiste par les Etats-Unis de leur puissance militaire et d’une morale qu’ils rangent à leurs intérêts commerciaux, L’ère des anges est très proche du coup de cœur et un excellent one-shot de SF.

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BD en vrac #3

Salut la compagnie, pour ce samedi je vous présente deux nouveautés qui n’ont rien à voir: le dernier tome de Katanga, la série noire-noire de Fabien Nury et le second volume de la nouvelle série SF Conquêtes:

bsic journalismKatanga #3 

katanga-tome-3-katanga-tome-3Cantor et Charlie ont les diamants mais pas l’argent. Entre eux et Orsini, tous convergent vers un règlement de compte qui s’annonce sanglant…

Ce troisième et dernier tome de la série Katanga poursuit dans la continuité de ses prédécesseurs. Je rappelle les points forts de cette plutôt bonne série, que j’avais évoqué sur les précédents billets: un dessin un peu cartoon mais très propre et à l’encrage qui donne envie de le lire en édition spéciale, la colorisation absolument parfaite (comme d’habitude) de Bastide, le réalisme historique du contexte et un montage parfaitement huilé. On n’est pas surpris, Nury fait partie des vieux briscards du scénario franco-belge qui imprime sa patte sombre en incarnant l’anti grand-public. L’historien renforce dans ce troisième tome le côté historique avec le sort fait à Patrice Lumumba, qui fait monter d’un cran, en une scène d’une rare violence, la tension et la noirceur de cette série que seule la conclusion dépasse en nihilisme. J’avais émis des réserves sur une vision des africains qui pouvait flirter avec le racisme tout en notant le traitement non préférable fait aux blancs. Et c’est au final ce qui m’a dérangé, cette absence totale d’espoir, de lumière, le seul être surnageant un peu, Alicia, étant une prostituée calculatrice… Quel est le message de cette série hormis dénoncer le système de la françafrique et de la colonisation? Il est certain que j’ai pris du plaisir à la lecture de cette trilogie très travaillée et parfaitement fabriquée, mais quand Il était une fois en France intéressait par son ambiguïté et ses zones grises, Katanga ne propose que du noir. Trop pour moi. C’est dommage car il y a un vrai talent et en introduisant un héros et un peu plus de sens historique cela aurait pu être une très grande série.

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bsic journalismConquêtes #2 – Deluvenn

couv_353820Album lu en numérique. Une version grand format n&b avec making of a été éditée chez le même éditeur.

J’avais été plutôt agréablement surpris par le premier tome de cette série, de part un très bon dessin et un vrai travail sur les personnages. Ce second volume transpose la même trame mais cette fois dans une flotte coloniale « d’Europe du sud » décimée par le matériel bas de gamme chinois, utilisé pour constituer cette flotte du dernier espoir. Si l’idée de changer la « couleur » de la flotte est plutôt intéressante, la trop grande proximité entre les deux albums se fait en défaveur de ce dernier. La relation familiale compliquée, les pouvoirs cachés d’une peuplade inconnue, l’utilisation du fantastique dans une série de hard-science… tout cela est trop proche d’Islandia et j’espère sincèrement que c’est un simple raté  de démarrage car produire une série de cinq tomes sans plus de variations me semble être un suicide! Du reste en tant qu’album one-shot, Deluvenn propose des thèmes intéressants hormis le fait que le héros soit assez inintéressant. Les Kraken sont la plus grande réussite de l’album mais le scénariste Nicolas Jarry ne creuse malheureusement pas du tout ce côté là. Un bon album de SF nécessite un background costaud. On est un peu court sur ce point et une vague impression de filiation avec Aquablue nous montre que l’originalité du projet a été un peu délaissée… même si cet album reste dans la moyenne très acceptable des BD très grand public de SF familiale.

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Urgence niveau 3

Le Docu du Week-End

 

Comic de Joshua Dysart, Jonathan Dumont, Alberto Ponticelli et Mat Masioni
Bliss (2018), 128 p.

Le scénariste Joshua Dysart et le Programme Alimentaire Mondial (WFP en anglais) de l’ONU ont travaillé de concert pour la réalisation d’une Bande-dessinée témoignant de la situation dans des zones d’urgence Niveau 3, la gradation la plus haute de l’urgence alimentaire dans la classification de l’ONU. L’ouvrage a été prépublié dans le Huffington Post en 2017 et est dédité cet automne en France par Bliss comics, qui a déjà travaillé sur des albums militants avec Love is love. L’album contient une courte bio des auteurs en fin de volume. Du fait de la neutralité politique de l’agence de l’ONU, le récit repose sur des témoignages n’abordant pas du tout la question politique qui sous-tend nécessairement ces crises alimentaires, ce qui est problématique pour l’appréhension du contexte et la compréhension de l’album. Un petit rappel historique pour chacune des trois régions abordées aurait été utile, mais un rapide tour sur Wikipedia vous permettra de combler cette lacune.

L’ouvrage est découpé en trois parties, d’abord sur l’Irak pendant la conquête par Daesh, puis le Sud Soudan, enfin le Tchad, avec comme fil conducteur une membre du PAM qui se retrouve témoin sur les trois zones. Le procédé est habile et permet d’alterner des récits de victimes, les plus poignants mais sans accroche pour le récit, et cet œil extérieur qui nous fait pénétrer comme occidentaux dans la réalité du décalage entre nos existences et ces zones détruites.

Résultat de recherche d'images pour "urgence niveau 3 ponticelli"Si les dessins sont correctes sans plus, le traitement documentaire est fort en nous faisant monter une certaine émotion, dès les premières pages lorsqu’une famille irakienne se voit privée de ses deux enfants, enlevés par des barbares de Daesh. Le récit reste pudique sans cacher pour autant le destin de cette fillette violée et vendue pour être mariée à l’étranger… L’ouvrage montre par ses dessins des choses dont on entend (un peu) parler mais qui restent sans visages, sans réalité, lointaines. Le fait de savoir qu’il s’agit de témoignages réels et de les voir incarnés même au crayon, mets une boule au ventre. Les trois histoires, bien que reliées, abordent des problématiques différentes et parviennent à toucher, parfois à peine, un nombre de questions important.

Si l’histoire irakienne est pour moi la plus forte (et la plus dure), les deux autres nous permettent de (re) découvrir des guerres ou des famines quasi oubliées. Je me suis pris à me documenter pendant la lecture de l’album sur la situation des dix dernières années au Soudan: entre guerre civile, islamisme, scission en deux Etats, interventions étrangères,… tout cela est fort complexe et il est délicat de se contenter de ne lire que la BD et le sujet des déplacements de populations et de la famine. On voit là la difficulté de l’exercice, de parler de l’activité du Programme Alimentaire Mondial, de rappeler au monde la situation dramatique de ces zones, de ne pas aborder les questions politiques tout en expliquant le contexte… Résultat de recherche d'images pour "urgence niveau 3 masioni"Du reste l’album insiste souvent sur l’activité d’agents du PAM dont le rôle est justement d’enregistrer les situations, les témoignages, afin de mobiliser les opinions publiques occidentales et leurs gouvernements sur la nécessité de financer ces programmes.

Le troisième récit suit un jeune américain frais diplomé qui voit se confronter son monde naïf et la réalité dure de l’Afrique. Au travers de ce personnage c’est la question des enlèvements qui est abordée. Pas mineure, loin de là, mais moins impliquante pour le lecteur.

Au final je vous encourage très vivement à soutenir cette initiative de BD militante (il n’y en a pas tant que ça!) qui vous fera ouvrir les yeux sur ces drames et surtout à soutenir les ONG (comme MSF dans le récit du Photographe) qui travaillent courageusement dans ces régions.

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Morts par la France

Le Docu du Week-EndBD de Pat Perna et Nicolas Otero
Les Arènes-XXI (2018), 130 p. , One-shot.
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Je tiens à remercier les éditions des Arènes (qui ont fusionné avec la revue XXI) pour leur disponibilité et la qualité de leurs ouvrages qu’ils envoient très volontiers aux blogueurs (j’avais commencé l’an dernier mes partenariats avec eux sur l’excellent Paroles d’honneur). Ce genre de partenariats vertueux permettent de vraies découvertes et font généralement honneur au travail éditorial… Sur ce plan donc, on a droit à un très gros album au papier épais et à la très élégante couverture. L’album est découpé en chapitres ouverts par un poème, de Césaire ou de Hugo. L’ouvrage s’ouvre sur un avertissement concernant les éléments de fiction et ceux documentés et se termine par l’article dans la revue XXI qui a donné naissance au projet. Une excellente chose, qui aurait même pu être suivie par un entretien avec les auteurs sur l’adaptation… mais avec une telle pagination on ne peut pas trop en demander. Pour finir, je tiens à préciser que j’ai découvert cet album via un article de Mediapart et ne connaissais pas cet événement.

En décembre 1944, l’armée française tire sur des tirailleurs sénégalais rassemblés dans une caserne de Thiaroye avant leur démobilisation, provoquant un massacre. L’historienne Armelle Mabon découvre cette affaire et tente de démontrer les falsifications et mensonges autour de ce qui s’avère un crime et une affaire d’Etat tachant l’honneur de l’Armée…

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Ce récit est une fiction. Un scénario basé sur des événements réels et sur l’histoire vraie d’une thésards hantée par ce drame depuis le jour où elle en a entendu parler. Que le format soit celui de la fiction ne recouvre pas l’objet de l’ouvrage qui est bien de dénoncer un mensonge d’Etat fomenté par l’armée coloniale. La grande force de ce récit est de montrer la démarcation très fine entre la recherche scientifique froide et argumentée et le travail journalistique, fait de conviction et de récits. Ici on est plus dans l’enquête journalistique, parue dans la revue XXI, qui pointera du doigt toutes les incohérences administratives du récit officiel vis a vis des réalités des témoignages. La BD montre les difficultés d’Armelle Mabon, ancienne assistante sociale et douée en cela d’un très fort esprit de compassion et de révolte… qui ne colle pas forcément avec ce qui est attendu d’un chercheur, comme le lui rappellent sans cesse sa directrice de thèse et son compagnon. La structure scénaristique vise à montrer la pugnacité d’une femme convaincue et seule contre tous, mais ne tombe pas dans le piège du manichéisme de l’institution forcément à côté de la plaque. La directrice lui pointe des réalités et le rôle de chacun, lui faisant comprendre qu’une fois sa thèse validée elle pourra se lancer sur des travaux de son choix, pour peu qu’ils suivent une démarche scientifique. Car en histoire seuls les faits basés sur des preuves comptent. Dans ce cas là cela ne suffit pas car les documents ont été falsifiés. Il faut alors démontrer l’incohérence des dates, des chiffres.

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Là dessus on est un peu en manque, l’album comme l’article de la revue nous présentant les découvertes de l’historienne sans forcément beaucoup de faits. Étonnamment, les témoignages de familles de victimes ont été cherchés mais peu ceux des militaires. Les reportages nous montrent pourtant souvent (comme chez Davodeau) que c’est du cœur du crime que vient souvent l’information cruciale. Mais dans le cadre d’un massacre impliquant l’armée, la grande muette a sans doute su faire disparaître ou taire toute voix qui puisse dénoter. Ceci transforme alors cet album plus en témoignage qu’en une enquête pointilleuse comme l’excellent album Cher pays de notre enfance chroniqué ici ou le Saison brune de Squarzoni. Il n’en reste pas moins passionnant et remarquablement structuré, autour des doutes, des convictions et des indignations d’Armelle Mabon. L’aboutissement de l’histoire (pour l’instant) est la reconnaissance par l’Etat (en la personne du président Hollande) de ce massacre, minimisé mais reconnu. Ce n’est pas assez pour Armelle Mabon et les descendants des soldats assassinés qui luttent en justice pour le rétablissement de l’honneur militaire de leurs pères ou grand-pères. L’un des protagoniste rappelle à Armelle Mabon que le seul soldat réhabilité de l’histoire s’appelait Dreyfus…

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Graphiquement l’ouvrage est très élégant. Le dessinateur Nicolas Otero n’est pas le plus technique du circuit mais son dessin est très propre, arborant des couleurs douces et qui habillent parfaitement les traits. Il y a beaucoup de visages dans ces pages et il sait produire des expressions vivantes et distinguer ses visages d’hommes noires sans qu’ils soient interchangeables comme dans beaucoup de BD. Je ne connaissais pas cet auteur et ai beaucoup apprécié ses découpages et cases graphiques intercalées entre les scènes de dialogues. La BD documentaire a cela de difficile que les dialogues sont rarement graphiques et tout l’art des dessinateurs est de rendre fluide la lecture. Les auteurs proposent ainsi de nombreuses scènes illustrant le passé, dans les camps de prisonniers allemands ou autour de l’évènement du premier décembre 1944.
Cet album, outre être une très bonne BD, a le grand mérite de soulever une page noire de notre histoire a peu près méconnue du grand public. Il joue en cela parfaitement son rôle de documentaire en donnant envie de se renseigner plus avant sur cette affaire tragique.

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Note: Armelle Mabon m’ayant contacté pour apporter quelques précisions, je signale donc que l’enquête a bien à porté à la fois sur les familles de victimes et sur les officiers.

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***·BD·Documentaire

Lucha

Le Docu du Week-EndBD de Justine Brabant et Annick Kamchang
La boite à bulle (2018), 77 p. n&b.

Le volume est issu d’un partenariat entre l’éditeur La boite à bulle et Amnesty International, avec l’optique de proposer à des auteurs de traiter un sujet sur lequel Amnesty fournira son expertise, sa documentation et sa caution. Les auteurs choisissent librement leur sujet. L’album propose une préface d’Anjélike Kidjo, une postface d’un des militants des droits humains africain et un texte d’Amnesty sur les défenseurs des droits humains.

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La Lucha voit le jour à la suite des mouvements indignés et de la révolution tunisienne de 2011. Le mouvement impulsé par de jeunes étudiants de la classe moyenne congolaise dégoûtée par l’impasse de leur pays, la corruption, la pauvreté, s’inspire tant de la non violence que des mouvements citoyens aux préoccupations très concrètes. Le fait de ne pas à voir de hiérarchie coupe l’herbe sous le pied du système de corruption installé très solidement dans beaucoup de pays du tiers monde. Cette non organisation perturbe beaucoup une répression habituée au système de chefs, plus faciles à corrompre. Les militants, qui se voient persécutés, intimidés, emprisonnés, doivent combattre au moins autant les mentalités des populations que la répression politique qui est finalement souvent un colosse aux pieds d’argile dès lors que les mouvements sont médiatisés. Le mouvement commence par l’accès à l’eau puis part en lutte contre la mainmise de l’église catholique sur les écoles et la taxe qu’elle fait peser sur l’accès à l’école.

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L’association essaye de gérer sa crise de croissance en gardant une neutralité absolue, notamment vis à vis des partis. Les soutiens qu’ils reçoivent des ONG vise à compenser les attaques judiciaires et intimidations pénales dont ils sont victimes. Finalement le clivage entre la classe politique composée d’hommes ayant la culture du chef et de l’obéissance, n’est guère différent de la situation démocratique en Europe (si ce n’est d’échelle) où toute une génération tente de changer le fonctionnement de vieilles démocraties bourgeoises.

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C’est à mon sens la réflexion la plus forte et la plus grande vertu de cet album que de nous faire réaliser, nous occidentaux centrés sur des problématiques qui pourraient paraître futiles, que nous avons les mêmes combats: environnementaux, démocratiques,… La jeunesse du monde aspire à balayer les réminiscences de ce terrible XX° siècle qui aura fait tant de mal et dont les élites auto-reproduites s’accrochent violemment à leur domination. Mais les choses bougent et en Afrique peut-être plus qu’en Europe finalement l’on voit apparaître (au Libéria avec George Weah, au Sénégal avec Macky Sall, …) de nouvelles figures issues de la société civiles et qui semblent décidées à combattre la corruption. Un très bel album qui donne de l’espoir.

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*****·Cinéma·Graphismes·La trouvaille du vendredi

La trouvaille du vendredi #15

La trouvaille+joaquimAdama, le monde des souffles.
Film de Simon Rouby (2015), 1h22.

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Il y a trop peu de cinéma d’animation sur ce blog alors je profite d’un visionnage avec ma fille pour proposer une Trouvaille du vendredi avec un film que j’attendais de voir depuis sa sortie et qui, clairement, m’a bluffé sur tous les plans!

Présenté en compétition officielle au festival du film d’animation d’Annecy 2015, ce premier long métrage du studio réunionnais (et oui!) Pipangaï (qui a sorti l’an dernier l’adaptation de la BD Zombillenium) est une véritable perle, peut-être mon film d’animation français préféré et qui mérite toute votre attention et montrer que l’originalité, la créativité peuvent réellement concurrencer sur le long terme la puissance marketing et financière des grosses productions.

En 1916, dans une vallée isolée d’Afrique, le frère d’Adama doit passer son rituel initiatique qui le rendra adulte, mais au dernier moment un incident empêche ce « passage ». Hanté selon l’ancien du village, il va fuir cette société ancestrale étouffante pour s’engager dans l’armée engagée dans cette lointaine guerre mondiale. Adama va se lancer à sa poursuite en promettant de le ramener. Il s’engage dans une odyssée initiatique qui l’emmènera jusque dans les tranchées de Verdun, au son des souffles et des musiques des marabouts…

Résultat de recherche d'images pour "adama film"Si la tradition de l’animation française n’est plus à prouver, les bons succès critiques peinent souvent à trouver une rentabilité commerciale. Souvent la qualité technique bute sur des rythmes lents, parfois soporifiques et surtout sur un impensé: le fait de faire des films d’animation destinés aux jeunes. Or les grands films d’animation sont construits en direction de tous les publics. Et c’est bien selon moi la principale force d’Adama: le prisme de l’enfant est celui qui accrochera l’intérêt des jeunes spectateurs mais le scénario (comme un certain Tombeau des Lucioles) ne vise pas la jeunesse.

Image associéeCar les auteurs visent plutôt un esprit mythologique, une confrontation subtile entre un univers magique de l’Afrique traditionnelle et un monde moderne rationalisé. Cela coïncide avec un âge, la préadolescence, où l’univers enfantin naïf rencontre celui dur et réaliste, des adultes (le personnage de Maximin). Le propos avance naturellement, sans insistance, jusqu’à un épilogue incroyablement juste laissant le spectateur décider de son interprétation. A mesure que l’on s’enfonce dans le no-mans-land de Verdun, les séquences irréelles se multiplient, faisant s’interroger sur la réalité de ce que vit Adama. Mais les auteurs n’en oublient pas leur trame: celle d’une quête initiatique d’Adama et de son frère quittant un paradis perdu pour l’enfer. Les thèmes sont nombreux mais là encore laissant le spectateur choisir lesquels importent le plus (de l’enrôlement de force des tirailleurs, à la vie de débrouille et les bidonvilles dans le Paris de 1916 ou l’archaïsme des sociétés patriarcales africaines,…). En 1h20 la densité scénaristique est réellement impressionnante.

Résultat de recherche d'images pour "adama film"Sur le plan technique les auteurs ne sont pas allés dans la facilité: afin de donner un aspect matériel, de sculptures artisanales à leurs images, ils ont conçu des modèles en terre qu’ils ont modélisés par ordinateur, donnant un mélange étonnant entre de l’animation stop-motion, l’animation 2D classique (pour certains décors) et animation 3D. Ils ont en outre expérimenté certains effets très esthétiques en utilisant des ferro-fluides pour composer les explosions de Verdun. Un making of en plusieurs parties montre cette conception passionnante:

ADAMA MAKING OF OPUS 1 : SCULPTURES from Naia Productions on Vimeo.

 

ADAMA MAKING OF OPUS 2 : DECORS & FERROFLUIDES from Naia Productions on Vimeo.

Le rendu visuel est totalement unique et agrémenté de plans au sens esthétique indéniable. Cette mise en scène (qui laisse dubitatif sur le fait qu’il s’agisse d’un premier long métrage pour l’essentiel de l’équipe) est agrémentée d’une musique (fortement teintée de sonorités africaines) très agréable et parfaitement adaptée aux images et aux moments de l’histoire. Du rythme aux doublages, tout est parfaitement pensé dans ce film dont on cherche les défauts.

Permettant d’aborder deux sujets rarement liés et au traitement pas du tout superficiel (la guerre et la rencontre modernité/traditions), intéressant réellement tous les ages (je préconiserais à partir de 8 ans), Adama est une perle qui mérite vraiment une reconnaissance publique et que je vous invite très vivement à découvrir.

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****·BD·Nouveau !

Diamants

BD de Fabien Nury et Sylvain Vallée
Dargaud (2017); Katanga t.1 70 p./album, 2 volumes parus /3.

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L’indépendance du Congo en 1960 attise les convoitises sur les matières premières d’un territoire encore mal contrôlé par un régime hautement corrompu. La Francafrique se mets en place à l’aide de conseiller de l’ombre et de barbouzes cherchant de l’activité après la fin des guerres coloniales. L’histoire ne sent pas bon et les hommes sont cupides. Bienvenue dans la réalité de la Francafrique…

Le duo d’il était une fois en France se reforme pour une série très ressemblante dans son traitement historico-realiste mais transposé dans la francafrique. Ce que j’aime chez Fabien Nury, comme chez Lupano, c’est que tout en restant dans de la vraie BD plaisir ils gardent toujours une part politique, polémique, grise.

J’avais lu avec réticence Il était une fois en France dont le thème ne m’attirait pas, avec des dessins que je trouvais assez grossiers… Et à la lecture j’avais été conquis par le talent d’écriture du scénariste et par une certaine expressivité des visages du dessinateur. Il en est de même ici. On part dans une BD d’aventure politique au sein des sales opération politico-economiques, à base de barbouseries les plus noires. Les héros sont de gros réac venus en Afrique pour buter du nègre et se remplir les poches… Pas vraiment de gentils chez Nury, mais comme il se place dans de la BD d’aventure cela n’est pas déprimant comme peuvent l’être certaines BD documentaires. La vision des africains pourrait même friser le racisme… si les blancs n’étaient pas tout aussi monstrueux!

Page 14La part graphique est étonnante, avec le trait presque cartoon ou BD jeunesse de Vallée qui s’avère (une fois qu’on s’y est habitué) très précis, lisible et particulièrement bien découpé. Si la version N&B de l’album permet d’apprécier les encrages du dessinateur, ce sont surtout les extraordinaires couleurs de Jean Bastide (pour moi le meilleur coloriste actuel) qui rehaussent ces dessins de façon impressionnante. Nous avons ici une vraie BD à trois mains où du scénariste au coloriste chacun participe à une partition graphique d’assez haut niveau.

Malgré son traitement vraiment sans détours et totalement pessimiste, Katanga réussit le pari d’allier l’action, l’exploration historique et la dénonciation d’une époque au sein d’un album de BD très grand public. Une réussite qui donne envie de lire la suite.

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Un autre avis: Branchés culture.

**·BD

Bob Morane renaissance

BD de Luc Brunschwig, Aurélien Ducoudray et Dimitri Armand
Le Lombard (2015-2016), 2 vol parus de 55p.

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Je n’ai jamais lu de Bob Morane que je ne connais que par la chanson d’Indochine… La reprise de la série avec le dessinateur du très réussi Sykes était l’occasion pour moi de découvrir ce personnage, aidé par une couverture du premier tome vraiment chouette.

Après avoir sauvé le futur président du Nigéria, Bob Morane, brillant idéaliste rompu aux zones de guerre devient son conseiller spécial, chargé de mettre en oeuvre un ambitieux plan d’éducation des populations nigérianes grâce à une technologie d’apprentissage neural. Mais alors que des attentats brutaux attisent les tensions, les motivations du président et de sociétés françaises deviennent plus troubles et obligent l’Aventurier à remettre ses convictions en question.

Résultat de recherche d'images pour "bob morane renaissance armand"Malgré un a priori plutôt positif, j’ai été assez déçu par les deux premiers albums sensés former un premier cycle alors qu’ils ne clôturent rien mais ressemblent plutôt à une introduction au personnage. Le problème c’est que tout va beaucoup trop vite pour un album introductif à un personnage mythique. Je ne sais pas si Bob Morane à été modernisé ( il est ici un idéaliste archidiplomé et engagé pour des raisons humanitaires dans les casques bleus) mais si l’environnement géopolitique est assez contemporain, l’introduction d’une part non négligeable de SF ne prends pas vraiment. J’attendais plus de la BD d’aventure à la Largo winch et ici Bob Morane est totalement trimballé par le scénario sans aucune décision ni réflexion de sa part. Du coup, si l’on peut s’intéresser à une intrigue d’anticipation proche de ce que produit Fred Duval dans la collection Série B Delcourt, le personnage nous laisse assez distants. C’est dommage car le scénario est assez ambitieux, mais j’ai éprouvé du mal à identifier cette BD entre différents genres, ce qui empêche d’être véritablement happé. Sur un thème proche, le Katanga de Fabien Nury, plus faible niveau graphique, est beaucoup plus réussi dans le traitement de la relation politique entre Occident et pays africains.

Résultat de recherche d'images pour "bob morane renaissance armand"Niveau dessin, si le trait très encré de Dimitri Armand collait parfaitement à l’ambiance western de Sykes, on alterne ici entre certaines cases très inspirées, notamment au niveau des visages et beaucoup d’autres assez lambda avec des arrière-plans délaissés. Je ne suis pas sur que l’on puisse reprocher grand chose à Armand (son travail reste plus que correcte) hormis que son style ne s’accommode pas vraiment avec des atmosphères futuristes. Les hésitations graphiques que je notais sur Sykes sont toujours d’actualité et la technique de l’illustrateur à peu progressé depuis, ce qui est étonnant. On dira que c’est inégal.
Du coup il est peu probable que je continue une série qui a mon avis aura du mal à attirer des lecteurs ignorants de la série originelle. Un coup dans l’eau pour le Lombard.

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***·BD·Guide de lecture·La trouvaille du vendredi·Rétro

La trouvaille du vendredi #2

La trouvaille+joaquim

La Trouvaille c’est un trésor que vous avez gardé dans votre mémoire, une pépite de votre bibliothèque et qui mérite d’être offerte à l’appétit de vos lecteurs. Une pause de fin de semaine hors du brouhaha des publications récentes…


Hariti

BD de Igor Szalewa Et Nicolas Ryser
Glénat (2001-2004), 3x46p.

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Dans l’Afrique des légendes, des fétiches et de la magie, la sorcière Hariti, stérile, va tout faire pour connaître l’amour maternel. Mais son pacte avec les puissances ancestrales est risqué. Si elle est prête à tous les sacrifices, les dieux l’entendent-ils ainsi?

La série de Ryser et Szalewa, injustement méconnue, propose d’entrer dans une Afrique entre croyances traditionnelles et vaste cosmogonie fondatrice. Car au travers du personnage archétypal de la sorcière Hariti (qui a des ressemblances avec Karaba, la sorcière de Kirikou, qui a pu influencer les auteurs ici) c’est bien le mythe originel de l’enfantement du monde, de l’Homme et du peuple africain qui est proposé. Les décors nous emmènent du pays de cocagne interdit aux hommes à l’arbre aux fruits défendus et le monde des esprits. Les sortilèges peuvent ôter la conscience aux rois et les corps fusionner avec les racines. Cet univers, bien que très coloré sous les pinceaux magnifiques de Nicolas Ryser (dont c’est la première BD) est sombre, rocailleux, fait d’épines et des traits torturés d’une Hariti vieillissante au travers des trois albums qui s’étirent sur une vingtaine d’années.

hariti3L’intrigue est par moment difficile à suivre (notamment dans le tome 1) en raison de sauts temporels ou d’action assez brutaux. Cela peut être vu comme une faille du scénario ou comme une volonté de s’inscrire dans le récit mythique où le temps n’a pas de valeur, pas de norme. La relation entre la fille et la marâtre, la jalousie exclusive et l’amour ambigu sont montrés avec subtilité derrière ces cases  à la force tribale. Mais le personnage central demeure celui de la sorcière Hariti: rarement un anti-héros aussi sombre aura été assumé de la sorte et bien peu de choses permettent au lecteur de s’y attacher! Elle fait le mal, revancharde, puissante, tenant tête à des divinités décidément dures avec les hommes. Et si l’amour entre les Adam et Eve de l’histoire peut laisser un fil positif à cette légende, l’ensemble reste résolument pessimiste, comme dans la plupart des mythes de l’humanité…

Le trait de Ryser est volontairement exagéré, les corps déformés semblent chercher à reproduire les figures des fétiches de bois, créant une atmosphère propice à dérouler cette histoire. Dans Hariti pas de fausse pudeur d’ailleurs, les hommes sont le plus souvent nus et parés de quelques bijoux et bracelets, ce qui permet à l’auteur de travailler ses corps magnifiquement.

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Les arrière-plans souvent en peinture directe sans encrages peuvent paraître parfois un peu brouillons en regard des superbes personnages. L’ensemble nous transporte pourtant dans un imaginaire africain, fait d’aridité, de villages de terre et de forêts piquantes et asséchées.

Hariti est une excellente surprise aux superbes graphismes chatoyants qui montrent un illustrateur de caractère et une grande lisibilité des cases. Histoire primordiale que l’on voit peu en BD (l’Asgard de Dorison et Meyer possédait également cet élément mythologique fascinant), Hariti est un projet qui mérite de s’y arrêter, œuvre d’un travail original, sincère, talentueux et qui m’a fait découvrir un illustrateur que je vais essayer de suivre sur sa série Les derniers Argonautes.

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