BD de Gregorio Murio Harriet, Alex Macho et Ekaitz Elizondo (coul.)
Glénat (2023), 56p., série en cours, série finie en deux tomes.
Merci aux éditions Glénat pour leur confiance.
Dans l’extrême-orient russe, au cœur de ces forêts enneigées loin de la civilisation, la loi et la morale sont des principes bien ténus. Dans ce paradis naturel une équipe de documentaristes arrive pour réaliser un film sur le Tigre de Sibérie. Entre l’animal sauvage, l’hostilité du climat et l’appétit des mafia sino-russes, qui est le plus dangereux?
Nous voici venir une nouvelle BD de l’autre eldorado de la BD, l’Espagne qui nous apporte quantité de talents rescapés de l’appel du comics. Avec Feroce (dont le premier tome a été chroniqué par Dahaka), le très talentueux Alex Macho propose avec ses collègues scénariste et coloristes (deux coloristes différents sur le diptyque, sans que cela se ressente, heureusement) un thriller naturaliste en deux temps. Alors que le premier volume sorti il y a dix-huit mois décrivait une affaire mafieuse parfois proche de l’univers de Tarantino, le second volume vire dans le survival brutal, à la limite du fantastique et du slasher dans une volonté de ne rien laisser aux personnages!
En ouvrant leur intrigue dans un contexte exotique original frisant le « Eastern » et en contextualisant de façon assez réaliste une réalité écologique dramatique, les auteurs posent une base que l’on avait envie de suivre et qui n’était pas loin du coup de cœur tant les splendides dessins nous faisaient voyager en plein cinéma. Sans que l’évolution ne soit brutale, il faut reconnaître que l’on change de registre ici puisque le tigre-démon devient une sorte de croque-mitaine où l’absurde n’est jamais loin dans l’énormité. Pourtant la maîtrise de la mise en scène cinématographique et des codes de l’épouvante font fonctionner la mécanique qui nous ferait presque sursauter à chaque page. En jouant avec des personnages-proies Macho et Harriet nous tiennent en haleine tant on n’imagine pas ce jeu de massacre si radical. Et comme tout bon « film » de genre, on ne saura jamais vraiment ce qu’était cet affreux tigre quasi-immortel…
Sans doute victime d’une trop modeste ambition et l’envie d’aller vite, Feroce réussit pleinement sa mission mais nous frustre un peu par sa brièveté et l’incapacité à vraiment développer toutes les interactions crapuleuses par manque de place. Le projet, ne serai-ce que par son originalité aurait mérité de prendre le temps de poser cet univers oriental situé à la croisée entre Corée du Nord, Chine et Russie. Nous aurions voulu en savoir plus sur l’affreuse cheffe de triade chinoise et sur cette héroïne semble-t’il inspirée « de faits réels ». On aurait voulu se documenter sur la réalité des mafias du bois. Bref, on en aurait voulu plus. Ce n’est pas un défaut mais plutôt le signe d’une BD de qualité qui en avait sous le coude.