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La Frontière invisible

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BD de Benoit Peeters et François Schuiten
Casterman (2002-2004), env. 60p./album, diptyque.
L’histoire est d’abord parue en deux volumes avant de ressortir en un unique volume puis dans le quatrième tome de l’intégrale de la série

Dernier descendant d’une illustre dynastie, Roland de Cremer, jeune cartographe arrive au Centre de cartographie de Sodrovno-Voldachie. Là il va apprendre le métier au contact d’un maître de la tradition qui voit arriver une modernité menaçant l’art de la cartographie. Entre ses découvertes amoureuses et professionnelles, de Cremer va devoir se positionner lorsque le pouvoir militaire du maréchal Radisic décident de reprendre en main la direction du Centre…

Les cités obscures -8- La frontière invisible - 1Ma relecture de cet avant-dernier diptyque de la série est l’occasion de rappeler l’importance de la série des Cités obscures dans l’histoire de la BD franco-belge. Entamée en 1983 en feuilleton dans le magazine mythique (A suivre), la série compte onze albums dont le dernier paru en 2009 est probablement le dernier. Le dessinateur François Schuiten est le fils d’un réputé architecte bruxellois et son travail commencé dans les pages de Métal Hurlant se concentre dès le début sur les formes architecturales et les décors. Le scénariste Benoit Peeters est un éminent sémiologue, spécialiste de Tintin qui a autant écrit de livres sur le récit séquentiel que de scénarii de BD. Leur travail sur les Cités Obscures consiste en le développement d’un univers à la géographie partagé mais expérimentant de multiples formes tant graphiques (noir et blanc ou couleur), de format que s’étendant au-delà du cadre du neuvième art en se développant en expositions, musiques ou faux guide touristique aux Guides Michelin.

Se situant dans un univers à la temporalité technologique proche des années 1950 et parfois quasi-steampunk, La Frontière invisible raconte en deux tomes très différents la résistance de la tradition sur une science techniciste au service d’un pouvoir politique qui cherche à façonner les territoires pour confirmer son récit. Frontière Invisible (La) | François Schuiten & Benoît PeetersNotre héros est un naïf plutôt bien vu à son arrivée en raison de son nom glorieux, montrant le conservatisme de cette société. Désormais membre d’une illustre institution il devient ainsi un gardien du Temple en même temps qu’un rempart contre la modernité incarnée par des machines destinées à automatiser un art ancestral. Dans ce monde fantastique, outre les architectures démentielles qui sont un des plaisirs évident de la lecture, les travaux surréalistes participent à l’esthétique générale: ainsi les travaux cartographiques portent autant sur la reconstitution du territoire en une gigantesque maquette que sur des cartes traitant des comportements sociaux.

Alors que le premier tome déroule un récit linéaire de découverte de ce petit monde et de ses décors incroyables (où l’on n’oublie pas une certaine sensualité qui rappelle que Schuiten n’est pas qu’un dessinateur-architecte!), le second relate la fuite des deux héros dans des décors naturels et des tableaux allégoriques où la politique expansionniste de ce régime autoritaire nous explique le sens du titre et l’absurdité de la Frontière.

Frontière Invisible (La) | François Schuiten & Benoît PeetersÉtonnamment c’est plus le worldbuilding et sa cohérence qui fascinent dans cette BD sans doute un peu trop courte pour pouvoir développer réellement une intrigue géopolitique intéressante. On effleure donc simplement ce que l’on imagine des rivalités empruntées à l’Europe de l’Est en contexte de Guerre froide qui ne restent que des tableaux. De même sur l’histoire pourtant passionnante de ce Centre incarné par un dôme gigantesque renfermant une version miniature du territoire de la République mais qu’hormis la rivalité entre le patron et le jeune loup imposant ses machines, on ne fait que survoler. Archéologues, Schuiten et Peeters lancent des pistes, nous font découvrir au détour d’un couloir les caves de l’Institution, habitées d’animaux fantastiques dont on ne nous dira rien… Frustrant, comme une conclusion amère dont on ne sait que penser au-delà de l’idée que le rêve (y compris amoureux) doit guider le cartographe plus que sa mission.

Album tantôt fascinant tantôt décevant, La frontière invisible n’est semble t’il qu’une pierre de l’incroyable édifice des Cités Obscures, œuvre d’une époque, d’une génération, de ces Bourgeon, Bilal, Manara, Pratt, des artisans érudits dont les dessins très détaillés n’étaient que le véhicule pour des réflexions sociétales comme poétiques. Des albums intelligents et accessibles qu’il faut redécouvrir.

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