Comic de Scottie Young, Jorge Corona et Jean-François Beaulieu.
Urban (2022), 128 p., one-shot.
Merci aux éditions Urban pour leur confiance.
Rowena Meadows est une talentueuse artiste-peintre qui ravit les galeristes. Lorsqu’elle ressent le besoin de changement, elle part s’isoler dans une vieille bâtisse dont elle tombe sous le charme. Malgré ou à cause d’une consommation conséquente de vin l’inspiration tarde néanmoins à venir. Jusqu’à ce que d’étranges manifestations surviennent, faisant douter Rowena de sa propre santé mentale…
Il y a quelques couples artistiques dont l’alchimie crée des univers uniques qui doivent autant aux dessins qu’au scénario. Skottie Young et Jorge Corona font partie de ceux-là depuis le magnifique Middlewest. Sans doute parce que le scénariste, naviguant entre les grosses séries Marvel auxquelles il prêts son style enfantin est à l’origine dessinateur. On imagine ainsi la compréhension graphique qui permet un album aussi sensuel que Celui sur tu aimes dans les ténèbres. Beaucoup plus adulte que leurs précédentes productions, ce très réussi bien que trop court one-shot propose ainsi une étonnante histoire d’amour entre cette artiste en recherche et un fantôme qui habite la maison. Pitch simple pour dessins épurés.
La force du duo est d’associer la simplicité, tendance Halloween, avec des problématiques très complexes, hier l’oppression parentale (dans Middlewest), ici la domination dans le couple. On sent une continuité thématique très intéressante chez Young. Comme tout histoire d’horreur l’album entame sur une trame linéaire et progressive passant de la découverte agréable du lieu isolé à la rencontre avec l’Autre, avant la bascule vers la terreur. Comme récemment avec le génial Shadow Planet, on connait l’intrigue mais c’est sa réalisation qui en fera le sel. Et si l’évolution dans les différentes étapes de l’horreur ne surprennent guère, la maîtrise du cadrage et des moments de tension, mais surtout l’histoire d’amour assumée avec l’être surnaturel nous surprennent juste ce qu’il faut pour nous accrocher. Dans le fantastique tout est affaire de dosage et de décalage. Pour le dosage on a fait plus subtile. Pour le décalage on marche en plein avec l’envie du « pourquoi-pas »?
Bien sur l’ambiance graphique est sombre, avec la magnifique gestion des ombres du dessinateur vénézuélien dont les encres soufflées donnent une matière particulière à ses dessins aux lignes épurées. On connait le design jeunesse de cet auteur et l’association avec le coloriste Jean-François Beaulieu, si elle est moins colorée que sur leur précédente collaboration, n’en est pas moins très réussie.
On ressort de cette magnifique lecture une légère frustration sur la rapidité de lecture et sur une fin assez cryptique. Pas de quoi obérer le très grand plaisir passé en compagnie de Rowena, de sa bouteille et de son amant d’outre-réalité…