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Le Grand mort

BD de Loisel, Djian, Mallié et Lapierre (coul.).
Glénat (2008-2019), 474p., Intégrale des huit tomes.

Le Grand Mort - Intégrale Tomes 05 à 08

Coup de coeur! (1)Lorsque Pauline débarque au fin fond de la Bretagne pour bosser son mémoire, elle ne se doute pas de l’aventure qu’elle va vivre. Une aventure intime et temporelle où elle trouvera l’amour, un enfant, et se retrouvera confrontée à des enjeux dépassant l’imagination et mettant le monde en péril lorsqu’un déséquilibre surviendra entre les deux réalités… 

Vincent Mallié - le site officielDe Régis Loisel on a plus lu d’albums en tant que scénariste que comme dessinateur. Parmi les Grands Anciens de la BD il a pourtant posé une marque indélébile sur toute une génération de dessinateurs et l’on retrouve souvent son style graphique sur les planches de ses collaborateurs… ce qui pose quelques questions tout de même. Si le cycle Avant la Quête vise logiquement à inscrire une filiation graphique avec le cycle mythique dessiné par Loisel, sur le Grand mort on peut s’interroger sur un certain narcissisme à demander à un artiste chevronné comme Vincent Mallié (qui a alors dix ans de carrière, un style solide et la très belle série Les Aquanautes sur son CV) de singer sa patte. Mallié s’en sort excellement en rappelant des aspects si connus du style Loisel, fait de hachures, de créatures aux yeux rouges et de pulpeuses donzelles. Là n’est donc pas le problème. Mais on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi Loisel n’a pas dessiné lui-même la série. Bref…

Dossier Le grand mort T.4 - INTERVIEW DE LOISEL, DJIAN & MALLIÉJ’entends parler depuis fort longtemps de cette série qui au-delà de l’aspect patrimonial de son auteur bankable jouit d’une aura tout à fait remarquable, celle d’un classique de la BD. Je dois dire que sur le démarrage j’ai eu un peu peur, le premier tome (et le pitch) faisant craindre une énième histoire de passage entre deux mondes. Pourtant, si certains dialogues peuvent sembler faiblards sur le premier volume, dès le second et le retour dans notre univers s’installe la dramaturgie nécessaire alors que la quête d’Erwan pour retrouver sa belle s’étire. Va t’on retourner voir le Petit peuple? Que s’est -il passé pendant le « voyage » pour que le monde que l’on connaît sombre progressivement dans un chaos pré-apocalyptique? La progression vers le sombre est remarquablement bien menée et le triptyque de personnages fonctionne à merveille jusqu’à la moitié de la série où les explications sur les liens entre les univers et la finalité du Plan est révélée. Très malin, le scénario utilise donc un premier tome pour proposer une normalité du fantastique plutôt triviale et quelques heures de l’autre côté où tout va se jouer sans que l’on ne puisse en percevoir grand chose. Ainsi la bascule progressive dans le chaos de ce qu’il faut bien appeler une Fin du monde est d’autant plus choquante que la découverte s’étire sur un récit itinérant visant à faire se rejoindre au bout des huit tomes les deux groupes que constituent Erwan et l’enfant d’un côté, le duo de copines de l’autre, traversant une Bretagne où elles observent les effets de la catastrophe.

Preview BD Le Grand Mort T7 : Dernières migrations - GlénatUne des grandes réussites de la série repose sur des personnages pas si caricaturaux qu’ils ne semblent. A commencer par une relations étrange, dérangeante, entre la mère et la fille. Fécondée on ne sait comment, Pauline soupçonne très tôt sa fillette au faciès si étrange d’être liée aux catastrophes qui l’entourent. Erwan de son côté, semble peu touché par le chaos environnant et les étrangetés qui surviennent. Nouant un lien plus facile avec la fillette, il finit par réaliser que sa bienveillance naturelle est peu de choses face à la noirceur de l’enfant… Au-delà des thématiques sociales esquissées, du handicap, de l’adoption ou des relations parentales, c’est bien le principe de l’Antéchrist qui est convoqué par Loisel et Djian dans Le Grand mort (titre qui reste d’ailleurs énigmatique jusqu’à la conclusion…). Un Antéchrist que l’on a peine à accepter enfant, marqués que nous sommes par les schémas narratifs évoluant inéluctablement vers une forme de rédemption, de pardon. Or chez Loisel (comme sur son Peter Pan d’ailleurs) peu d’appétence pour le manichéisme et les bons sentiments. Son enfant est noire, criminelle, maléfique. Sans jugement puisque cela a une raison expliquée, mais avec Erwan nous finissons par reconnaître que cela ne peut pas continuer ainsi et qu’aux grands maux les grands remèdes… dérangeant disais-je!

Le Grand mort – Tome 8 – Renaissance | Un Amour de BDIl en est de même avec les deux copines dont on soupçonne un début de jalousie… qui n’ira pas dans le sens attendu. Très difficile d’anticiper une évolution des personnages dans Le Grand mort tant une forme de réalisme englobe le tout. Cette lecture à l’ère du Covid est particulièrement marquante car on aura rarement disséqué aussi longuement et finement la disparition de nos sociétés. Le genre post-apo prévoit généralement un avant ou un après… très rarement le déroulé de la Fin. Fervent partisan de la mise en scène de l’apocalypse (avec en point d’orgue la fameuse scène cataclysmique d’Akira), depuis le Chninkel ou Universal war one j’ai rarement été autant soufflé par la pertinence et la force d’une telle mise en scène… qui n’est pas là que pour le spectacle mais bien pour décrire les conséquences concrètes d’un délitement civilisationnel.

Laissant finalement le Petit peuple et son esthétique de créatures « à la Loisel » dans un coin, la série se déroule ainsi très majoritairement dans notre monde en mettant en scène des êtres humains dans la tourmente. Jusqu’à la toute fin on ne saura ni pourquoi ni comment en finir, et finalement, est-ce bien le but? Œuvre remarquable d’intelligence et de radicalité, Le Grand Mort est pour l’heure le chef d’œuvre de Loisel à égalité avec La Quête de l’Oiseau du Temps (et pour des raisons assez similaires quand on y regarde de près…), sur les dessins toujours efficaces de Vincent Mallié, dessinateur injustement méconnu et dont la précision s’affine série après série et donne envie de se plonger dans le tout récent Ténébreuse qui vient de paraître chez Dupuis.

Le second et dernier tome de l’intégrale sort ne 17 novembre chez Glénat-Vent d’ouest

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4 commentaires sur “Le Grand mort

  1. Cette radicalité me donne très envie de découvrir cette série. Je reproche souvent aux auteurs de ne pas oser aller jusqu’au bout à de rares exceptions, alors quand c’est le cas, il faut que je le lise. Surtout sur ce genre fantastique que tu dépeins n’est pas pour me déplaire 😁

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