
Premier tome de 56 pages d’une série en quatre volumes écrite par Jérôme Le Gris, dessinée par Didier Poli et colorisée par Bruno Tatti. Parution chez Dargaud le 26/03/2021.

Obscure Antique
Oubliez vos cours d’Histoire à partir du Moyen-Âge. Dans Les Âges Perdus, la Terre a subi en l’an Mil un cataclysme aux proportions bibliques qui a manqué de peu de rayer l’Humanité de la carte. Une pluie de météores est venue laver par le feu les pêchés de l’Humanité, dont les rares survivants se sont terrés des milliers d’années durant dans des grottes. Lorsque le temps fut venu et que les rayons timorés du Soleil purent enfin transpercer les nuages de cendres, les Hommes trouvèrent le courage et l’audace de s’aventurer au dehors, mettant fin aux temps de l’Obscure.

Depuis, l’Humanité est divisée en différents clans de nomades, qui parcourent cette Terre nouvelle au gré des saisons et des migrations de troupeaux, survivant à grand peine dans cet environnement hostile. Dépendants des caprices de la Nature, harcelés par des prédateurs mutants ayant profité de millénaires d’absence humaine, les femmes et les hommes des tribus ont une vie bien moins douce que nous, leurs contemporains alternatifs, privés des siècles de prospérité et de progrès scientifique qui auraient du s’offrir au genre humain après le Moyen-Âge.
Ce premier tome nous fait faire la connaissance de la Tribu de Moor, quelque part dans ce qui serait certainement l’Angleterre. Leur patriarche, Primus, est accompagné de sa fille Elaine, du solide Caratacos, d’Aigle et de Haran, dans une quête dont lui seul connaît les véritables enjeux.
Sad Max: Sorry Road
Porté par sa conviction, Primus va désobéir aux lois qui régissent les différents clans et occuper le Fort des Landes sans y être autorisé, ce qui pourrait légitimement entraîner une guerre fratricide. Ce qui le pousse à prendre un tel risque, c’est un rêve un peu fou, une perspective d’avenir qu’il n’osait pas imaginer: la possibilité de domestiquer les céréales, soit l’agriculture.
En effet, Primus essaie depuis des années de créer des culture viables, afin d’affranchir son peuple de la dépendance au gibier qui les met à la merci des autres prédateurs, les Écorcheurs en tête. Toutefois, il s’appuie sur des vestiges parcellaires de savoirs antérieurs au cataclysme, et doit faire face à toutes celles et ceux qui craignent le progrès et le changement qui l’accompagne.

Sa fille, Elaine, fait partie de ceux-là. Survivante aguerrie, elle respecte la loi des clans et craint les répercussions sur les siens. Celles-ci ne se feront pas attendre, car le courroux de la farouche guerrière Arghanna du Clan des Lunes va s’abattre sur eux avec de lourdes conséquences…
Jérôme Le Gris a décidé, pour ce récit, d’effacer mille ans d’Histoire, pour la remplacer par une série d’autres évènements dont il nous décrit la teneur, ce qui fait des Âges Perdus une uchronie en même temps qu’un récit post-apocalyptique. Le défi que représente l’uchronie est de mettre en place une nouvelle Histoire, avec un grand H comme on dit, qui soit suffisamment logique pour rendre cohérent l’univers fictif mis en place.
Le questionnement dramatique qui se pose ici est donc: que se serait-il passé si la civilisation s’était arrêtée au Moyen-Âge et que les humains avaient du repartir de zéro après un cataclysme ? Le scénariste apporte ses premiers éléments de réponse en faisant le pari que les survivants se seraient répartis en clan et auraient adopté un mode de vie nomade, comme l’avaient certainement fait nos ancêtres du néolithique.
Dans l’album, l’enjeu qui se dégage assez rapidement est celui de l’agriculture, qui dans le monde réel a constitué un pivot pour le développement de l’Humanité, puisqu’on est quasiment sûrs aujourd’hui qu’elle a entraîné la sédentarisation et les ébauches d’échanges commerciaux qui à leur tour ont engendré les civilisations. La direction du récit paraît donc tout à fait logique du point de vue de l’uchronie, même si l’on peut se demander, puisque l’auteur ne l’explique pas dans ce premier tome, comment les humains ont pu survivre durant l’Obscure, comment se sont-ils réadaptés à la vie cavernicole, et comment se fait-ils que les humains nomades soient en possession d’armes forgées alors que les savoirs anciens sont censés avoir quasiment disparu, et que la métallurgie est logiquement apparue après l’agriculture.

Si les dessins solides de Didier Poli accrochent l’œil avec la qualité d’encrages que l’on connaît (rehaussés par l’excellent coloriste Bruno Tatti déjà vu sur Avant la Quête), les limites de ce premier tome reposent sur un manque de worldbuilding qui nous fait nous demander pourquoi Jérôme Le gris n’a pas simplement choisi d’installer son récit à l’époque du néolithique, l’uchronie n’apportant pour l’heure pas grand chose. Si le très réussi Horacio D’Alba du scénariste marquait une vraie singularité avec la Renaissance historique, ici on parcourt des planches certes jolies mais très classiques dans le genre médiéval/antique. L’intrigue de ce tome se résume ainsi à exposer une rupture de l’ordre établi. Le scénario comporte bien quelques belles scènes d’actions avec un sens du drame indéniable mais la finalité de ce projet semble encore obscure, aboutissant à une progression un peu poussive.
L’exposition est souvent compliquée et le format de quadrilogie devrait permettre à la série de prendre son essor pour peu que les auteurs assument une vraie rupture qui permette de sortir du tout-venant tribal-celtique…
Article rédigé par Dahaka et Blondin.
La couverture m’attiraient pas mal mais je ne retrouve pas du tout la même ambiance avec les planches intérieures alors ce sera sans moi. Merci m’avoir éclairée
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