
BD de Jordi Lafebre et Clémence Sapin (coul.)
Dargaud (2020), 152 p., one-shot.
Ana et Zéno ont la chevelure grisonnante des beaux vieux. Ils se retrouvent pour la première fois, prêts à commencer leur histoire d’amour… commencée il y a quarante ans! C’est l’histoire de deux existences qui se sont croisées en attendant calmement que les vagues de la vie passent et que le temps les réunisse. C’est une love story inéluctable et à rebours…
Malgré tout est le petit miracle de 2020, de ces albums touchés par la grâce que l’on savoure de la première à la dernière page, pétillantes d’intelligence, de bonté, de beauté! Lafebre n’est pas tout à fait un débutant, aux crayons de plusieurs séries à succès avec Zidrou... que je n’ai pas lues. Pas forcément mon style de dessin de prédilection, qui s’inscrit cependant parfaitement dans l‘école graphique hispanique avec les Homs, Roger, Munuera. Pas le impressionnant de la bande, il propose cependant cent-cinquante planches d’une virtuosité incroyable dans le découpage et la construction où il joue des trombines en mode comique avec une expressivité remarquable.
Première surprise: la première page est la dernière et l’on va découvrir progressivement ce qui a mené ces deux personnages jusque là, à rebours donc. Loin d’être un artifice de mise en page, toute la construction scénaristique, faisant se succéder les saynètes, souvent drôles, toujours touchantes, est bâtie sur ce mystère levé progressivement. Chaque séquence nous alimente subtilement en nouveaux mystères par le simple processus de la marche arrière où l’on ne sait pas encore ce que nous devrions savoir… Avec un peps qui emprunte par moment aux Vieux fourneaux des compères Lupano et Cauuet (assez proches graphiquement également, notamment dans la colorisation), Jordi Lafebre nous dresse une galerie de personnages qui mettent en lumière les personnalités très appuyées des deux zigoto, l’un ayant fait le choix d’affronter le cadre social quand l’autre s’y est engouffré pour l’endosser comme maire. Comme toujours, l’archétype permet de parler de beaucoup de choses, ces décennies passées entre les voyages de Zéno et l’évolution de la petite ville nous parlant de nos environnements de citoyens du XXI° siècle, des choix d’aménagement du territoire décidés par des édiles qui pensent œuvrer pour le bien commun. Entre Zéno le solitaire embarqué comme marin sur toutes les mers du globe avec sa thèse chimérique au bout de la lorgnette et Ana l’altruiste, la petite madame à la poigne de fer, c’est aussi la relation à l’autre qui est décrite. Celle des choix de vie que nous faisons tous entre intérêt personnel égoïste et grandes idées universalistes.
Au travers de tous ces moments intimistes, cette correspondance discontinue, erratique, nous voyons deux êtres qui s’occupent en attendant l’amour qui n’était pas encore prêt. Jusqu’à la fin on ne saura pas pourquoi ils ont ainsi raté le point de départ, construisant une relation platonique autour de laquelle tout tourne, même le mariage d’Ana, dont on se demande s’il n’est pas au cœur du sujet de la thèse de physique de Zéno… Tout est entremêlé dans cet ouvrage, comme la vie qui choisit des chemins que l’on n’avait pas prévu, qui nous ramène à des points surprenants et qui impose de gérer ce qui n’a pas pu être, si possible avec bonheur.
Dans un monde bien sombre, d’une année bien compliquée, alors que nos vies modernes effrénées, mondialisées, semblent courir devant nous à force de frustrations, Malgré tout est un énorme morceau de positivisme, de bonheur que seul l’art (et l’amour!) peut procurer. Une love-story iconoclaste, très drôle, pas gnangnan pour un sous, à la construction sophistiquée qui vous fera rayonner en illustrant le positivisme forcené de ses personnages.
Merci! 😊
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Très belle chronique, tu as vraiment su trouver les bons mots pour parler de ce si joli titre, qui chez moi aussi fut un coup de cœur 💕
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Merci! Il manque pourtant tellement de chosrs dans ma chronique pour parler de cet album! C’est effectivement un beau coup de coeur de 2020!
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