BD de Stephane Piatzszek et Jean-Denis Pendanx
Fututopolis (2018), 104 p., one-shot
J’avais énormément apprécié un album scénarisé par Stephane Piatzszek, « le chevalier à la licorne, qui traitait aussi (sur un autre thème) de la folie et le numéro de la Revue dessinée chroniqué récemment comportait une excellente histoire assez proche sur la constitution d’un asile ouvert après la seconde guerre mondiale. Enfin, l’album « les désobéisseurs » présentait un étonnant infirmier psy qui prônait la libération des fous… Bref, après ces lectures, avec l’habitude de voir de très bons albums de la part de Futuropolis et en découvrant les très douces planches de Jean-Denis Pendanx on peut dire que ce joli album m’a parlé.
En 1914, près de Soisson, l’Asile de Prémontré, qui accueille des malades depuis le XII° siècle, se retrouve sur le front. Abandonné par la quasi-totalité de son personnel, seuls l’économe, les bonnes-sœurs et un jeune chauffeur refusent d’abandonner les fous à la merci de la guerre. Pendant trois années ce petit monde va devoir cohabiter avec différents régiments d’occupants allemands et constater l’ignorance totale de l’administration, qui les laissera dans le dénuement et la famine, ignorant même la demande d’évacuation. C’est le récit de la folie des hommes, de la force de conviction humaine de quelques uns et de la quête d’une personne aimée…
Rares sont les couvertures capables à la fois d’attirer le regard par son esthétique propre et de refléter l’album précisément. L’on peut dire que celui des Oubliés de Prémontré réunit absolument ces deux caractéristique, en montrant le cadre des jardins, l’arrivée de la troupe allemande et l’attente des « résistants » de Prémontré, fiers et tenaces. J’exprimerais juste une réserve sur la typographie du titre qui fait furieusement penser à un catalogue de musée (volontaire?)…
Sous la forme du récit historique chronologie d’une histoire vraie, les auteurs dépeignent une aventure humaine multiple: entre l’économe, le jeune chauffeur et les autres personnels de l’asile chacun est là et y reste pour ses raisons propres. Mais tous sont tenaces par-ce qu’ils croient en l’humain, que l’on ne peut abandonner des hommes et des femmes, même fous. Dans cette histoire qui fait le choix intelligent d’éviter le pathos facile, seule la rage de l’économe contre son administration démissionnaire pointe une dénonciation. Pour le reste l’on est dans l’examen factuel d’une situation de guerre, absurde (on ne finit pas de le dire), à la fois proche du front (on est en « zone occupée » dépendant de l’administration militaire allemande qui finit par se préoccuper plus des fous français que Paris) et loin, avec surtout les effets concrets de la famine. Ce sujet a peu été abordé: faute d’hommes pour travailler aux champs, à cause des réquisitions, la campagne meurt littéralement de faim. Et bien entendu les fous sont les derniers que l’on nourrira. Le jeune homme à la recherche de sa sœur et l’économe incapable de capituler sont de puissants personnages qui structurent le récit par leur conviction. Dans cette histoire il n’y a pas de méchants, seulement une situation injuste amenée par la guerre.
L’image ne se vautre pas; étonnement pour ce sujet sombre l’on a un bel album tout le long. Même les quelques séquences de destruction sont plutôt colorées, sous les peintures de Pendanx. Les visages ne sont pas très précis mais l’illustrateur s’efforce surtout de montrer les déformations physiques (comme l’explique le médecin allemand, la folie sculpte les corps) et y réussit. Dans un découpage construit en successions de séquences, il pose nombre de magnifiques paysages, plans larges et architectures aux tons pastel. Les images atténuent la dureté du sujet, peut-être en permettant de mieux le digérer, peut-être en diluant le sujet, je ne sais pas bien qu’en penser. Mais le fait est que la lecture est un moment plutôt reposant et agréable.
Au final je dirais que Les oubliés de Prémontré, outre le fait de nous faire découvrir une séquences de notre histoire, de traiter du sort des fous (sujet ô combien essentiel sur la situation philosophique de notre société), vaut surtout pour la qualité de ses planches. Non que l’histoire soit inintéressante mais elle ne rentre peut-être pas assez dans le cœur, n’affronte pas suffisamment la dureté. Mais sans doute n’était-ce pas son propos.
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