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Bluebell woods

BD de Guillaume Sorel
Glénat (2018), 96 p.

9782344021804-l

Glénat a servi un très bel objet à un auteur que l’éditeur affectionne: grand format style broché (les pages sont bien collées mais comportent un liseré tissu décoratif à l’intérieur de la couverture). Le papier est épais, mettant en valeur les planches. L’album comporte une préface du scénariste Pierre Dubois (auteur de Sykes et grand connaisseur du Petit peuple), une post-face de l’auteur expliquant la genèse de cet ouvrage et rien de moins qu’un cahier graphique de 21 pages. Le grand luxe pour seulement 19€. Comme quoi il n’y a pas toujours besoin multiplier les formats « commerciaux » quand un éditeur tient à mettre en valeur une œuvre…

Un artiste peintre vit retiré sur une crique en contrebas du Bluebells Wood, le bois des jacinthes baignant dans une étrange atmosphère mystique. Vivant difficilement un deuil il ne parvient pas à créer, malgré le soutien de son ami qui vient régulièrement lui rendre visite. Cette vie entre harmonie avec la nature et regrets de son amour passé bascule le jour où il découvre la présence de sirènes…

Bluebells WoodComme je l’avais expliqué sur le très beau Horla, j’ai une petite faiblesse pour Sorel, extraordinaire coloriste et artiste inspiré et intéressant, malgré quelques défauts techniques récurrents dans ses albums. Dès le début de cet ouvrage le préfacier nous rappelle que lorsqu’on ouvre un album de Sorel on ne quitte jamais vraiment Lovecraft et le fantastique. Or, comme la post-face nous le confirmera, Bluebells Wood n’est pas véritablement un album fantastique, ou plutôt un album romantique dans une ambiance fantastique. En effet l’auteur explique que c’est un véritable lieu qui l’a lancé dans cet album, une crique de Guernesey très proche de ce qu’il a dessiné et qui lui a inspiré une rencontre entre un homme et des sirènes, dont les planches du cahier graphique témoignent. Bluebells WoodLe problème de cette genèse c’est qu’il a dû greffer une histoire sur des visions et que comme souvent chez les illustrateurs, la greffe entre images et histoire est un peu compliquée. Alors oui, Bluebells Wood est imprégné d’une ambiance comme seul Sorel sait les poser, une inquiétude permanente inhérente au genre fantastique qui reste l’essence du travail de cet illustrateur. Mais la narration reste compliquée, notamment du fait d’une gestion du temps très floue (la sirène est là, puis plus là, combien de temps s’est-il passé?), peut-être recherchée si l’on regarde la chute de l’album, mais qui ne facilite pas l’immersion. De même, certaines scènes sont difficiles à expliquer (la séquence d’introduction) et à raccrocher au reste de l’intrigue et l’histoire se clôture de façon un peu obscure. J’ai eu l’impression que plusieurs envies graphiques (les sirènes, le Mythe de Cthulhu, les jacinthes, la mer) et thématiques (l’artiste, le deuil, la folie, l’isolement) pas forcément cohérentes avaient abouti à un album dont la colonne vertébrale est compliquée à définir.

Alors bien sur il y a l’histoire d’amour avec la sirène qui occupe deux tiers de l’album en juxtaposition avec les problèmes créatifs du narrateur. Cette histoire permet à Guillaume Sorel de nombreuses cases de nu qui sont parfois très belles mais qui souvent buttent sur les problèmes anatomiques récurrents de cet auteur (disons le clairement, ce n’est pas le meilleur dessinateur de corps féminin du monde de la BD) et qui deviennent donc plutôt secondaires sur le côté visuel. Sorel sait très bien dessiner des expressions, des angoisses et des ambiances, moins les corps. Les séquences pleinement fantastiques sont puissantes et auraient peut-être nécessité de trancher dans ce sens. Ou alors les séquences naturalistes, contemplatives (les plus belles car permettant cette confrontation de couleurs vives, le bleu des jacinthes, le vert de l’herbe, le rouge des renards et écureuils) qui auraient orienté l’album sur l’inspiration artistique…

Le cahier graphique illustre donc ces hésitations qui empêchent Bluebells Wood d’être un grand album en confirmant une faute originelle: une illustration de sirènes n’est pas un album de BD. Sorel a peut-être confondu les deux. C’est dommage car il ne fait pas de doute de son investissement sur ce projet qui reste un magnifique objet et par sa fabrication et par ses dessins. Une petite déception qui confirme l’importance d’un scénario et la difficulté des dessinateurs à traduire en intrigue leurs visions et envies artistiques.

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Cet article fait partie de la sélection de22528386_10214366222135333_4986145698353215442_n, cette semaine hébergée chez Noukette.

Un autre avis chez Ligne claire.

26 commentaires sur “Bluebell woods

  1. Effectivement, je pense que je le rouvrirai pour le plaisir des yeux plus que pour le relire du début à la fin. C’est une belle découverte concernant l’artiste, mais je vais un peu mettre le scénario de côté pour le moment… Aurais-tu un autre album de cet auteur à me conseiller, pour que je ne reste pas sur cette première rencontre mitigée ? 🙂

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    1. Bien sur! C’est un auteur que je suis depuis le début et graphiquement c’est toujours un plaisir. Récemment il a fait un one-shot avec serge Letendre dans la série « j’ai tué » (Abel pour l’album de sorel), qui est très très bien (je crois que j’avais fait un billet). Sinon tu as le diptyque Typhaon: histoire fantastique, comme toujours chez Sorel, assez chouette. Son Horla est très réussi aussi. J’ai pas lu l’Hotel particulier mais il paraît qu’il est très bien. Sur ses premiers albums (L’ile des morts et Mens Magna) c’est 100% fantastique et lovecraftien. Faut aimer l’univers mais son style colle parfaitement.

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  2. Un auteur que je pensais ne pas connaître… Mais en allant voir son blog : Typhaon me dit quelque chose et Algernon Woodcock aussi ! J’aime bien les illustrations que tu présentes, j’irai jeter un oeil !

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    1. Algernon c’est une série (perso j’ai pas accroché). Typhaon c’est un diptyque racontant l’histoire du bateau qui ramène Dracula à Londres dans roman de Bram Stoker. Sinon il y a l’excellent « J’ai tué Abel » avec Serge Letendre, variation sur Abel et Caïn, un de ses meilleurs albums.

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  3. Le problème que tu évoques dans cet album est assez récurrent de mon point de vue. Beaucoup de dessinateur estiment ne pas avoir besoin de scénariste et la réciproque est également souvent vrai. Cela donne souvent des albums bancals. Rares sont les auteurs à être aussi brillants dans un domaine que dans l’autre… Au plaisir de te relire…

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    1. Je n’ai pas trouvé beaucoup d’images pour illustrer l’article, mais il y a deux parties, une plutôt grise/bleue (rochers-mer) et une colorée. Les planches de Sorel sont toujours très agréables.

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    1. Si tu aimes l’illustrateur tu peux y aller, surtout j’ai rarement vu un bouquin aussi joliment composé/fabriqué, un très bel objet dans la bibli. Maintenant niveau scénario dans la biblio de Sorel j’ai préféré J’ai tué Abel, L’ile des morts ou le diptique Typhaon (… a chaque fois c’est avec un scénariste…). J’ai noté aussi que l’univers de SOrel était toujours lié à la littérature et ici un peu moins. Etrange album…

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