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Les aigles de Rome

BD d’Enrico Marini
Dargaud (2007-2016), 5 tomes parus.

couv_68233Pour sa première série solo (dont le premier tome remonte à dix ans maintenant!), le grand Enrico Marini, toujours féru d’histoire, à mis la barre haut, voir très haut. Si l’on connaît son talent graphique depuis longtemps, l’aventure scénaristique était risquée: nombre de dessinateurs s’y sont cassé les dents, le travail de documentation historique est considérable tant visuellement que scénaristiquement ; enfin et surtout, la série a vu le jour alors que la grande série sur l’antiquité romaine, Murena avait déjà achevé son premier cycle et jouissait d’une renommée très grande notamment pour son sérieux historique. J’avais commencé la série et abandonné dès le premier tome, peu accroché par ce qui me semblait une intrigue cliché entre deux vrais-faux frères, dans un contexte historique déjà vu. Mal m’en a pris, Les Aigles de Rome tient très fièrement la comparaison avec Murena en assumant son identité propre.

Sur le plan matériel nous avons une pagination classique mais une intrigue très dense pourrait faire croire à des albums de 80 pages… Un court résumé des précédents tomes est inséré en début d’album et un glossaire des termes latins à la fin. L’intérieur de couverture comporte une très belle et très utile carte de l’Empire indiquant notamment les noms et localisations des nombreux peuples germains qui sont au cœur de l’intrigue. Tout bon donc côté fabrication éditoriale, si ce n’étaient les couvertures qui sont comme souvent chez Marini très peu inspirées et peu alléchantes. Vraiment dommage lorsque l’on compare à la qualité des dessins intérieurs qui sont d’un niveau rarement atteint par l’illustrateur italien.

Alors que la République touche à sa fin, un général romain se retrouve chargé d’élever son fils et le fils d’un chef germain emmené en « otage » comme signe de soumission à Rome. Alors que les deux fiers adolescents grandissent dans la culture romaine, ils vont se retrouver confrontés à leurs ambitions respectives mais surtout à leur identité de romains mais aussi des peuples conquis. Au travers de cette querelle de  deux frères ce sont les prémices de la bataille de Teutobourg qui nous sont relatés, qui vit la plus grande défaite des légions romaines et l’arrêt quasi définitif de l’expansion de l’Empire en Europe.

Marini - Les Aigles de Rome - Tomes 1 à 3Les Aigles de Rome a été une vraie surprise pour moi. J’aime l’Histoire, je lis Marini depuis le premier Gipsy (et j’ai d’ailleurs fait une rétro sur la série), j’ai adoré la série TV Rome qui a permis ce genre de traitement réaliste dans les fictions… et pourtant quelque chose ne collait pas. Je me suis donc trompé et je considère désormais cette série comme l’une des meilleures productions du dessinateur, d’une maturité qu’aucune de ses autres séries (à part peut-être L’étoile du désert) ne possède!

D’abord le sérieux de la reconstruction donc, et sur ce point la comparaison est tout à fait pertinente avec Murena: dans les deux cas, un personnage historique (Arminius chez Marini, Néron chez Dufaux/Delaby) et son alter-ego fictif se croisent en amitié/concurrence. Murena prend la grande Histoire, Les aigles de Rome a l’intelligence de recentrer sur un événement précis et une série courte, ce qui évite de diluer l’intrigue sur de très nombreux volumes (Murena en est à 10 et ça commence à faire beaucoup…). Choix pertinent tant la quantité d’informations (termes latins, détails de la hiérarchie romaine ou des coutumes sociales, etc) est important, de même que les personnages dont nombreux sont dotés d’un vrai travail de caractérisation.

Résultat de recherche d'images pour "marini aigles de rome"Ces personnages que je craignais très archétypaux lors de ma première tentative s’avèrent assez complexes et dotés de motivations cohérentes ; hormis Varus aucun n’est un gros méchant né pour être méchant, à l’inverse, le héros Marcus nous change du héros parfait à la Scorpion: ténébreux, impulsif mais aimant, il accumule les boulettes tout en étant d’un courage et d’une force exemplaires. Un héros faillible, contrairement à son frère Arminius, que rien ne semble pouvoir faire échouer alors qu’il se transforme progressivement en vrai antagoniste de Marcus. Tout au long de l’histoire on ne sait qui est réellement le héros de Marini, celui de la petite histoire familiale ou celui qui marquera l’Histoire de son nom…

Sur le plan graphique, si l’on a l’habitude de l’excellence, on atteint ici des sommets de reconstitution, que ce soit sur les costumes ou de multiples détails de décors militaires ou des intérieurs. Sachant tout dessiner, Marini est en outre un coloriste hors paire créant des atmosphères variées et évocatrice. Des visages des personnages aux paysage, tout est fin, subtile, précis et beau. Grande maîtrise des cadrages avec des plans dynamiques alors qu’il n’utilise pourtant aucune ligne de mouvement. Les séquences de bataille sont elles aussi impressionnantes de lisibilité et de style. Il est vraiment très fort! Alors il y a bien sur quelques tics graphiques comme les méchants qui sont souvent chauves, pâles et édentés ou la Germanie toujours couverte de brume et constellée d’arbres morts… Mais cela permet aussi une proximité avec le lecteur, une lisibilité qui n’est pas grossière non plus. Sur le plan documentaire comme sur le plan graphique, Les aigles de Rome peut assumer son statut de grande BD d’aventure historique, que personnellement je préfère donc à Murena.

Résultat de recherche d'images pour "marini aigles de rome"Les BD de Marini se bonifient avec l’âge et le bonhomme prends des risques en changeant d’univers: après le volume 2 de son Batman il enchaîne avec un nouvel épisode du Scorpion (la série s’approche de la fin) et travaille actuellement sur un one-shot en mode roman noir. De quoi saliver…

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15 commentaires sur “Les aigles de Rome

  1. J’ai envie de me replonger dans l’histoire romaine en ce moment mais je pense que je vais commencer par Murena. Parce que c’est un grand classique, parce qu’il est disponible en médiathèque surtout. Je ne suis pas certaine d’accrocher alors je ne prends pas de risques 😉 :

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        1. Ah ben alors… Bon, y’a un peu de romance quand même…Non? Bon… 🙂 Pour Marini tu peux te lancer sur le Gypsy (j’avais fait un billet rétro sur le blog) ou Rapaces avec Dufaux, une histoire de vampires hyper gothique et un peu SM sur les bords… Si tu ne crains pas les trip lesbiens des vieux scénaristes c’est très sympa.

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    1. Y’a pas une bonne com’ de l’éditeur et l’auteur sur cette série. Mais si tu aimes les séries de Marini et l’antiquité romaine, si tu as lu et aimé Murena je te la conseille très vivement. Après, on n’est pas obligé d’aimer mes jupettes 😉

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