BD de Wilfried « the king » Lupano et Jérémie Moreau
Delcourt (2012), 92 p. Prix des libraires BD 2013.
Une édition spéciale enrichie d’un cahier historique de 22 pages est également disponible. Format compact de l’excellente collection « Mirages » de Delcourt (celle de des albums de Cruchaudet, Un océan d’amour et Endurance par exemple). La couverture (qui ne reflète pas vraiment l’album mais participe à l’implication du lecteur pour ce pauvre singe) est très belle et inspirée.
En 1814 alors que la haine réciproque entre français et anglais est plus forte que jamais, un navire de l’Empire fait naufrage sur les côtes de la perfide Albion. En réchappent un jeune mousse élevé par une nourrice anglaise et un singe. Cela va déclencher dans ce petit village de pécheurs bouseux une réaction de haine absurde contre ce « français »… de singe!
Attention, chez Lupano s’il y a toujours de l’humour, il peut être féroce, voir très noir. C’est le cas avec cette fable issue d’une légende anglaise (expliquée par une post-face de l’auteur) qui illustre le mécanisme de haine collective qui peut se déclencher lorsque le nationalisme exacerbé tombe sur des enclaves isolées. Les affreux sont des anglais, ils auraient pu être français ou malgaches… Car le propos est le même que dans toute fable, dans tous récit absurde (genre souvent exploité chez Lupano comme récemment avec son Cheval de bois, cheval de vent): explorer les mécanismes collectifs qui dépassant la raison et dévoilent les noires pulsions humaines et leur ridicule.
La mise en scène est très proche du théâtre, avec une presque unité d’action et un singe qui aurait pu être totalement absent (cela aurait pu renforcer le côté absurde). Mais les auteurs tentent par moment de nous présenter ce regard incrédule du Chimpanzé pour toucher notre humanité justement. Pourtant le propos n’est pas le tragique de sa situation (puisqu’on fréquente peu le singe) mais le côté ubuesque de cette population désirant utiliser cette présence « française » pour dépasser l’insignifiance de ce village trou du cul de l’Angleterre. Ainsi, si l’identité du français ne pose de problème à personne, tout l’enjeu des villageois, à travers un procès fidèle aux valeurs démocratiques de la grande Nation et des glorieux sujets de sa majesté est de prouver que l’espion attrapé préparait une invasion du Royaume par les troupes napoléoniennes… Le scénariste a tout bon lorsqu’il s’abstient, même avec le personnage témoin du médecin, de comparer les bons personnages des mauvais et de toute mièvrerie. La scène ne mérite pas de commentaire et Lupano laisse le lecteur-spectateur seul face à sa sidération. Tout est compris, il n’y a plus rien à dire.
Graphiquement Moreau croque ses pécheurs de façon atroce, comme ce vieux vétéran des guerres américaines, sorte de morceau de barbaque sur un charriot (il a perdu ses jambes) ou le maire, plus simiesque que le singe. Les couleurs sont très jolies et participent à l’ambiance très théâtrale de la BD (le rouge sanglant du ciel lors du procès). Mais soyons clair: dans cette comédie humaine le dessinateur nous croque une farce, sorte de florilège de toutes les pires expressions et visages de l’humanité haineuse. On retrouve par moment l’esprit de Masbou sur De capes et de crocs lorsqu’il dessine des scènes de panique générale avec forces caricatures.
Le Singe de Hartlepoole est une BD cruelle. Lupano laisse peu de place à la compréhension dans la connerie humaine qui concerne à peu près tout le monde (sa série des Vieux Fourneaux est bien plus optimiste si l’on peut dire) et fait feu de tout bois, avec intelligence, subtilité, radicalité. Un grand scénariste.
Cet article fait partie de la sélection de, cette semaine hébergée chez Mo’
Et les billets de Mokamilla et Sulli, Anne, Noukette, Yvan, Jérôme, Hélène, Mango. Yaneck, Soukee Sandrine, Marion.
J’ai adoré cette histoire cruelle, un peu moins aimé les dessins…
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Repéré à plusieurs reprises, je viens de l’ajouter dans mon panier de la médiathèque.
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Un classique des BD contemporaines ! Un album à lire, relire, offrir… 🙂
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Lupano ; ça va direct’ dans ma PAL! 🙂
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J’aime pas tous ses dessinateurs mais je suis d’accord, c’est un des rares de scénaristes que je lirais les yeux fermés si je puis dire
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Lupano et Moreau, je note absolument ! En plus le sujet m’intéresse, le graphisme bien sûr, et si c’est cruel… 😉
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c’est intéressant que tu dises qu’il y a un cahier d’informations car en relisant mon billet je me souviens que j’avais trouvé qu’il manquait un peu de « matière » qui sera sans doute comblé par ce cahier! J’avais aimé les dessins.
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A priori c’est sur une édition spéciale (va voir sur BDgest, ils recensent toutes les éditions).
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Il est réservé à la bibliothèque. Bon, me semble que ça commence à faire longtemps… va falloir que je vérifie où c’en est rendu!
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Je ne suis pas toujours fan de Lupano mais cet album me tente bien !
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J’avais adoré mais qu’est-ce qu’il est dur cet album, c’est vrai…
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Au départ pas tentée mais ta chronique me donne envie et le scénariste a l’air de faire l’unanimité!
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Alors oui, Lupano est vraiment un très très bon scénariste. Si tu aimes les fables de philosophie politique (genre la ferme des animaux), si tu est révoltée par les soubresauts du monde, tu la BD de combat t’inspire, fonce! Graphiquement ce n’est pas forcément mon dada mais l’illustrateur fait le job.
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Excellent souvenir de lecture ! Un de mes scénaristes chouchou !
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Mon précieux !
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🙂
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Ce fut un de mes premiers Lupano, et j’en garde un souvenir ému.
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Moi c’était Alim le tanneur (sa première je crois… et sa meilleure avec les vieux fourneaux je trouve).
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J’adore cette bd !!!
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J’ai apprécié lire ta critique car elle m’a rappelé le plaisir que m’avait procuré la lecture de cet album il y a quelques années. Au plaisir de te relire…
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Merci bien, c’est sympa d’avoir un retour. Là j’ai publié le jour de la BD de la semaine mais sinon j’essaye de publier les anciennes BD comme Trouvaille du vendredi ». Si tu veux découvrir des perles oubliées, c’est dans la rubrique du blog.
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J’irai jeter un coup d’œil à l’occasion. Merci du tuyau. Au plaisir de te relire…
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Un album formidable à tout point de vue !
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Lu et j’avais, comme toi, apprécié !
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je l’avais déjà notée mais tu enfonces le clou 😀
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En inconditionnelle de Jérémie Moreau je suis fan. C’est avec ce titre que je l’ai découvert et il mérite amplement son Prix angoumoisin !
https://aumilieudeslivres.wordpress.com/2014/07/02/le-singe-de-hartlepool-lupano-moreau/
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Je rajoute le lien sur le billet. Merci!
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Merci à toi !
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Un album que je ne suis pas prêt d’oublier ! J’avais bien aimé mais de voir tant de bêtise humaine m’avait plombé le moral 🙂
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En même temps avec Lupano, la jauge d’amour de l’humanité ne monte pas très haut. Heureusement qu’il y a l’humour. Moi j’adore les fables politiques, le genre le le plus percutant.
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Une BD qui plait beaucoup mais je n’ai pas accroché !
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Pas encore lu. J’espère réparer vite cette erreur.
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J’ai 6 ans de retards, comme quoi rien n’est perdu 🙂
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grand souvenir d’une grande lecture!! je l’ai plusieurs fois offerte cette BD!
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